[THIRTEEN] L e n a

243 25 21
                                    


— Tu me trouves beau, Raven ?

Son regard bleuté s'est planté dans le mien.

Je. Ne. Suis. Tellement. Pas. Intelligente.

Je me l'étais portant répété tellement de fois ; pas de gaffes, Lena, il ne doit rien savoir quant à ce que tu commences à ressentir. Eh pourtant, on ne peut pas échapper à sa nature. Gaffeuse un jour, gaffeuse toujours.

— Je te trouve, heu, bon. Dans le sens généreux ! j'ai balancé, sans réfléchir. Mieux valait que j'aie dit qu'il était beau, finalement.

Maintenant, je rougissais. J'étais vraiment la pire des boulettes. Comment je faisais pour dire tout le temps n'importe quoi ? Est-ce qu'un jour, je serais enfin normale ? Personne ne réagissait comme moi, surtout pas lui. Je devais avoir l'air complètement stupide. Il m'a adressé un regard suspicieux mais n'a pas vraiment insisté. Pourtant, le sourire narquois qu'il m'a lancé n'augurait rien de bon. Il s'est approché de moi et a demandé :

— C'est vrai ?

Punaise. Tambour dans la poitrine – le retour. J'ai coupé ma respiration, sans vraiment le faire exprès. Au moins, ça m'évitait de sentir son odeur – une odeur indescriptible que j'aimais temps, avec eu prime les relents d'un parfum masculin dont je ne connaissais pas la marque.

— Ou-oui. Oui.

Je bégayais. C'était nouveaux, ça. J'ai voulu le dire avec assurance. Vraiment. Mais ma voix a flanché au moment où il s'est retrouvé séparé de moi par quinze petits centimètres. Et que mes pieds n'ont pas voulu coopérer, m'éloigner, partir de ces escaliers.

Et que ses yeux se sont posés sur moi, m'incendiant le corps et provoquant une sensation étrange dans mon ventre. 

Ça ne m'était jamais arrivé. Tout ça ne m'était jamais arrivé. C'est comme si je sortais d'un rêve et que je vivais vraiment. Qu'on m'avait ouvert les yeux sur le monde. Mais, paradoxalement, je n'arrivais plus à réfléchir correctement et mes sensations paraissaient comme décuplées.

— J'ai envie de m'amuser. Pas toi ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Ça te dit, un défi ? Un pari, si tu veux ?

Le soulagement s'est emparé de moi, et c'est sans vraiment réfléchir que j'ai répondu :

— Oui !

Non, non, non, Lena, tu n'as pas lu assez de livres pour savoir que c'est une mauvaise idée ?

— Très bien, je décide des règles.

Il ne s'est pas éloigné, semblant voir que je n'étais pas au meilleur de mes capacités intellectuelles et physiques à cause de sa présence. J'étais presque en train de prier pour que ce ne soit pas le cas.

— Je t'écoute.

Pour ce qui était d'écouter, alors oui, j'écoutais? J'étais même un peu trop pendue à ses lèvres. Que m'arrivait-il ? Pourquoi maintenant ?

— Je gagne si tu tombes amoureuse de moi.

J'ai émis un ricanement pas du tout naturel. Jamais je ne tomberais amoureuse de lui. Il était si insupportable, si narquois, si...

— Attends... Et moi ? Si je gagne ?

— Hum... Tu gagnes si...

— Je sais ! Je gagne si tu me laisse découvrir ta petite vie sur laquelle je ne connais absolument rien, durant les jours qui arrivent !

C'était sûr que j'allais gagner. Peut-être que je ressentais quelques sentiments pour lui, mais ce n'était pas vraiment sérieux. De toute façon, je n'étais jamais tombée amoureuse, il n'allait sûrement pas être la première personne que j'aimerais ! Au contraire, je pensais qu'il me serait assez simple de soutirer des informations à son propos. Il était très bavard, Wheeler, quand il s'y mettait.

Loin de savoir que j'étais quasiment persuadée de gagner, il a brandi son sourire moqueur et a accepté d'un hochement de tête.

— Si on gagne, on peut demander à l'autre la faveur que l'on veut. Ça te va ?

Je ne savais pas ce que je demanderais à Wheeler si je gagnais. Ce qui était sûr. Je gagnerais. Et je trouverais quelque chose. J'ai soudain eu une idée, plus par peur de finir par lui parler de moi tellement je commençais à lui faire confiance, que par rapport au jeu en tant que tel.

— Ah, et si tu tombes amoureux de moi ou si je te dévoile ma vie, on a perdu aussi. Question de sécurité.

— OK, marché conclu, Raven !

Il s'est un peu plus approché alors que j'avais pris soin de l'éviter durant toute notre conversation et m'a enlacée sans aucune raison apparente.

C'était très étrange. Je ressentais tout et je ressentais rien en même temps. J'aurais voulu rester dans ses bras durant toute ma vie. J'aurais voulu le pousser, m'éloigner de lui avant que je m'y attache. Je ne voulais pas de lui comme ami. Ce qui était bizarre, c'est que je ne ressentais pas du tout la même chose quand j'étais près de Heaven, ou même de Shane, mes deux meilleurs amis. 

Il a été le premier à se détacher de notre étreinte, car j'en étais tout simplement incapable. Être près de lui m'était impossible maintenant que j'avais eu la sensation de ses vêtements contre les miens. J'avais l'impression d'être vivante et totalement paralysée à la fois?

Calme-toi Lena, ce n'est qu'un câlin, un câlin !

Quelque chose brillait dans les yeux de Wheeler quand je me suis relevée. On aurait dit de la victoire, et autre chose que je n'arrivais pas à discerner. Je n'ai pas vraiment su l'interprêter à ce moment-là, et aujourd'hui encore, je me demande ce que cela signifiait vraiment.

Avant qu'il y ait quelconque ambiguïté, j'ai couru vers ma salle. Réaction très peu mature, je vous l'accorde, mais indispensable dans ce genre de situations. Croyez-en l'experte dans ce domaine. Dans la classe 102, tout était comme avant, ce qui était logique, en soit, mais inimaginable après ce qu'il venait de se passer – les livres anciens sur la bibliothèque du fond, les tables individuelles toujours positionnées symétriquement, le tableau blanc mal effacé, laissant des débris de feutres rouges et noirs, les chaises un peu trop bleues... – pourtant, j'avais l'impression que j'avais passé un siècle, et deux secondes, en compagnie de Wheeler.

Je me suis assise sur une chaise, et c'est à ce moment-là que je me suis rendue compte que j'avais fait, non pas une petite erreur, mais une énorme erreur.

J'avais parié sur mes sentiments. La seule chose que je ne pouvais pas contrôler.


~Plagiat interdit~

≈1020 mots

Publication le 17/05/23.

Seulement deux SemainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant