[TWENTY-FOUR] C h a r l i e

237 19 27
                                    


Je ne lui ai pas dit ce que j'ai trouvé dans son casier. Mais j'ai mis le morceau papier dans ma poche, pour qu'elle ne le trouve jamais. Ma réaction était abusive, je j'en étais parfaitement conscient, mais pour rien au monde je voulais que Raven voie la feuille. Je commençais à croire que j'étais encore plus égoïste que ce que je pensais.

Néanmoins, je me demandais : si je n'étais pas resté dans le lycée avec Raven et qu'elle avait trouvé le mot au retour des vacances, que se serait-il passé ?

Ce Shane et elle auraient-ils fini ensemble ?

Ce prénom ne me disait rien. J'avais déjà vu un ou deux garçons avec Raven, mais jamais beaucoup.

J'aimais la façon dont elle était jalouse de Deborah. Habituellement, la jalousie chez les filles ne me faisait absolument aucun effet. Mais cette fois... Elle me procurait un certain plaisir. 

Il ferait nuit dans une vingtaine de minutes et nous n'étions pas encore couchés. J'aidais Raven à préparer à manger – mes capacités culinaires étant plutôt limitées, mon travail était réellement d'éplucher des légumes et de la regarder verser de la crème fraîche, en fait. 

Elle avait décidé qu'on allait bien manger, aujourd'hui. Parce qu'elle avait trouvé, dans le casier d'un prof, une brique de crème fraîche. Je n'ai jamais compris cette manie des profs à amener de la nourriture en cours, alors que nous n'avions pas le droit. En réponse, Raven m'a dit qu'ils partageaient. Pour moi, ce n'était pas vraiment une excuse. Plutôt une injustice.

Toujours est-il que Raven n'était vraiment pas mal (dans le domaine de la cuisine, évidemment). Ses bras décrivaient de longs et lents mouvement afin d'ajouter tel ingrédient à son mélange – qui me faisait penser à ceux qu'Ember et moi préparions quand nous étions petits –, faisant bouger l'ensemble de son corps dans une magnifique symphonie.

De temps en temps, ses yeux indéchiffrables croisaient les miens. Elle les détournait à chaque fois. La timidité ? Ou faisais-je vraiment si peur que ça ?

Le soleil se couchait derrière les fenêtres de la cuisine du lycée. La lumière était orangée comme jamais je ne l'avais vue auparavant, le ciel qui semblait hésiter entre le rose et le doré, était dénué de nuages. Au loin, des champs à perte de vue. L'été tentait de se faire une place en cette fin de printemps, et on le voyait aux arbres alentour qui commençaient à perdre leur verdure printanière pour se rehausser du doré caractéristique des longues journées ensoleillées de la fin-mai.

Nous étions seuls, mais j'avais l'impression d'être bien, comme ça. Juste avec elle, et personne d'autre. Respirer son odeur, voir sur son visage pâle des réactions auxquelles je ne prêtais pas attention avant. Du froncement de sourcils à la moue perplexe, en passant par la mèche rebelle qu'elle enroulait autour de ses doigts, j'avais l'impression d'enfin la connaître. Pour de vrai. 

Le moment était spécial, et je le savais. Mais je ne devais pas risquer de perdre le pari. Question de fierté. Je crois que celle-ci nous tenait tous les deux. Est-ce que notre orgueil légendaire était véritablement un défaut ? Je pense que oui, mais il ne faisait que ralentir ce qui nous était déjà destiné, ajoutant des regards noirs et des piques à longueur de journée, à ce que nous étions en train de construire, un peu contre notre gré. Et cela me faisait peur, dans un sens.

Alors je me suis contenté de la regarder en épluchant des pommes de terre sous la lumière brûlante du soleil de fin de journée.

— Wheeler ?

— Oui, Rav ?

J'aurais voulu que ma voix soit plus sûre. Elle ne l'était pas. Raven n'a pas paru s'en rendre compte, mais j'ai accentué mes mots d'un sourire en coin pour mieux faire passer. C'était ma meilleure arme, et je le savais. D'ailleurs, je ne me privais pas de l'utiliser.

Seulement deux SemainesWhere stories live. Discover now