[ELEVEN] L e n a

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Gênée mais presque euphorique pour une raison qui commençait petit à petit à s'imposer à moi, j'ai aussitôt rejoint ce que j'appelais désormais ma chambre – la salle 102, celle de littérature –, en prenant bien soin d'emporter quelques coussins du CDI. Je ne voulais plus jamais dormir à même le sol.

J'avais besoin d'air, mais je me doutais que je ne pourrais plus être dehors avant douze jours. J'ai regardé le ciel depuis la pièce, à la fenêtre. Le temps était pluvieux, dehors. Les gouttes de pluie s'écrasaient dans un rythme effréné sur les vitres de la salle, la plongeant dans une lumière grise. Le vent soufflait, je voyais les arbres se courber sous son étreinte puissante. Je  trouvais cela assez triste pour une fin de moi de mai. Mai était pour moi une sorte de "début d'été".

Avant, j'aimais la pluie. Elle avait quelque chose de relaxant et me distrayait. À présent, je me rendais compte que j'avais horreur de la pluie et de tout ce qui se rapportait au mauvais temps. Malgré tout, j'aimais regarder les gouttelettes tomber une à une sur le goudron de la cour de récréation, parfois se tamponnant à la vitre devant moi, et leur odeur si particulière.

J'ai difficilement ouvert la fenêtre (il fallait forcer, elle n'avait pas été graissée depuis longtemps, je supposais). La pluie s'infiltrait dans les quelques centimètres de l'ouverture. Encore une idée de notre cher proviseur. Pour éviter les éventuelles tentatives de suicide depuis des salles de classe – ou les tentatives de meurtre des profs sur les élèves, ça restait à voir –, il nous était impossible d'ouvrir les fenêtres en grand, chose que j'aurais vraiment apprécié faire. Impossible donc de sortir.

Je me suis donc mise à jalouser la pluie, parce que je n'avais que ça à faire de mon temps. Quand on est jeune, on ne se rend pas compte que chaque seconde compte. Au lieu de maudire ma vie, j'aurais peut-être dû trouver de bons côtés. Mais revenons-en à la pluie, celle-ci avait fait le choix de rentrer dans la salle de littérature par la petite ouverture que je lui avais laissée. Moi, je ne pouvais pas m'échapper. Et ça me rendait mélancolique. Enfin, je voulais être mélancolique, peut-être que je ne l'étais pas tant que ça, après réflexion.

Je me sentais débile, de ressentir ça. De ne pas m'autoriser de m'amuser, alors que Wheeler m'avait conseillé de me lâcher. D'être aussi coincée. Je me suis demandé ce qu'en penserait Sarah, si elle était avec nous. Elle rirait sûrement de mon immaturité.

Le pire, c'était quand j'essayais de me convaincre que quinze jours, c'était très long. Parce qu'avec Wheeler, ça avait l'air de passer plus vite que prévu. Et pour rien au monde je ne l'aurais avoué à quiconque.

Et puis, comme à chaque fois que je restais seule, depuis hier, je ne pouvais m'empêcher de laisser mes pensées dérivier vers lui. Son visage, ses yeux, son sourire, ses cheveux, et ma conscience semblait vouloir faire abstraction de tout ce qu'il m'avait fait subir.

Je me souvenais encore de ses paroles comme si c'était hier. Il avait seulement ses raisons, j'étais sans doute trop fragile, mais je ne pouvais nier qu'il m'avait fait mal. Pas seulement lui, évidemment, ses amis y étaient aussi pour quelque chose, mais cette période n'était pas juste un mauvais souvenir. Pleurer tous les soirs en se demandant pourquoi, ce n'est pas un mauvais souvenir. Et pourtant, quoi que j'essaie de penser, mon cerveau m'envoyait le contraire et lui cherchait des excuses incongrues. Et je pensais à lui, encore et encore.

Cela m'insupportait réellement, parce que je voulais penser à autre chose. Heaven, par exemple. Elle me manquait. Mes parents. Je ne savais pas ce qu'ils diraient s'ils savaient que j'étais là. Peut-être qu'ils me priveraient de sortie jusqu'à mes trente ans ? Ou alors ils seraient tellement choqués de la décadence de leur fille qu'ils me renieraient ? J'hésitais entre les deux possibilités, qui me paraissaient l'une comme l'autre très probables.

J'ai soupiré, parce que, quoi que j'en dise, je ne voulais pas rentrer chez moi. Pas avec cette famille. Pas avec cette ambiance et cette impression persistante de ne jamais être assez, de ne jamais faire assez, de ne pas jouer le rôle qu'ils voulaient que je joue.

Je savais que ce n'était pas de leur faute, après l'histoire avec Sarah, je m'étais enfermée dans les études, eux dans l'espoir que je fasse mieux qu'elle. Ils avaient peur pour moi, je le savais. Ils avaient peur, mais je leur en voulais de ne pas être les parents qu'ils auraient peut-être dû être.

Puis, pour changer, je me suis demandée où était Wheeler, en ce moment. Était-il toujours dans la salle d'arts-plastiques ? Ou avait-il décidé de regagner sa salle attribuée ? Peut-être qu'il était dans le couloir qui donnait sur la salle de littérature ? Je me suis levée pour vérifier. Pas de lui à l'horizon, ce qui était une bonne chose car je ne sais pas ce que j'aurais inventé s'il m'avait vue sortir la tête de la porte, le nez rouge à force de me retenir de pleurer. Je n'aurais pas pu dire « Je te cherchais ! », je serais passée pour une psychopathe. Ni lui faire croire que j'avais un peu trop bu, il aurait vite compris que ce n'était pas le cas.

J'ai fermé ma porte, ne sachant que faire.

Il était seize heures de l'après-midi à présent. Le soleil commençait à décliner, le coucher de soleil étant prévu pour dans deux heures environ. Les oiseaux, pourtant si nombreux à cette période de l'année, ne criaient pas. C'était le vide avec un grand V, même dans mon cœur.

J'avais fermé, scellé ce dernier depuis longtemps. Et Wheeler tournait la clef jour après jour, et je sentais que mon cœur allait bientôt s'ouvrir. Que j'allais lui pardonner, lui dire que tout ça, c'était du passé. Pourquoi pas lui raconter mon histoire ? Peut-être même lui proposer d'être amis. Ce jour allait arriver, et j'en avais peur. Mais on ne peut pas échapper au destin, n'est-ce pas ?


~Plagiat interdit~

≈1010 mots

Publication le 13/05/23.

|Ahhh j'ai beaucoup trop de retard, ça ne va pas du touuuut !!! Deux chapitres pour la peine, j'espère qu'ils vous plairont ✨|

Seulement deux Semainesحيث تعيش القصص. اكتشف الآن