[SIXTEEN] L e n a

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— Tu sais ce qu'on va faire, aujourd'hui, Rav ?

Un nouveau surnom qu'il m'avait trouvé durant la nuit, apparemment. En tout cas, c'était ainsi qu'il avait appelée quand il m'avait réveillée, à dix heures du matin.

— Non, ai-je maugréé. 

Je voulais juste manger, en fait. Mais ça, je ne lui ai pas dit. Et puis, c'était mignon, Rav, au fond. Je ne lui dirais pas non plus, pour rien au monde.

— Arrête de faire la tête et souris ! Tu as un beau sourire, tu sais ?

Je me suis sentie rougir et m'auto-insulter en même temps. Le but de Wheeler était de me faire perdre le défi. Il ne pensait aucun des compliments qu'il me faisait. Réveille-toi, Lena.

J'ai quand même souri – un peu – trop ? – pour la forme – et il a hoché la tête.

— Parfait. Bon, je reprends, tu sais ce qu'on va faire, aujourd'hui ?

— Toujours pas.

Il a esquissé un début de sourire.

S'il savait à quel point, lui, avait un beau sourire. Bien plus beau que le mien, bien plus beau que celui de qui que ce soit.

— Et si je te disais que j'ai trouvé la clef du gymnase pendant que tu dormais ?

Je n'ai même pas essayé de le faire revenir à la raison. Il était têtu, et puis vu ce qu'on avait fait à la salle d'arts-plastiques, c'était un peu trop tard pour jouer la rabat-joie.

— Bon, alors on va au gymnase ? Tu veux faire quoi là-bas ?

Il a semblé réfléchir un moment. Puis il a levé sur moi ses yeux d'acier et a dit :

— On verra bien !

Je me suis satisfaite de la réponse. Je n'obtiendrais rien de plus, de toute façon. 

Nous avons traversé une série de couloirs que je pensais connaître, mais qui étaient très différents lorsque l'on s'y aventurait seulement à deux. Cela changeait du boucan habituel des élèves du lycée, et de la foule. Si le lycée était assez paumé, il n'en restait pas moins peuplé de tous les élèves présents dans les petits villages alentour. Ce qui faisait un nombre plutôt important d'étudiants.

Quand nous avons débouché dans la salle recherchée, je me suis arrêtée sur le pas de la porte, hésitante à y entrer. Ce n'était pas autorisé, je le savais. D'un autre côté... Est-ce que ce que nous avions fait depuis le début était vraiment autorisé ? La réponse était non, mais je demeurais assez peu sûre de moi. Wheeler m'a attrapé le bras et m'a poussée sans ménagement à l'intérieur avant que j'aie le temps de prendre une décision concrète. 

— Ça ne sert à rien d'être violent ! j'ai râlé, même s'il ne m'avait pas fait mal.

Pourquoi était-il toujours obligé d'être aussi lunatique ?

— Tu aurais pu y rester pendant quinze heures à ce rythme ! a-t-il répondu sur le même ton.

— C'est vrai.

Il m'a regardée avec un air éberlué fixé au visage. Je ne cédais pas si vite, d'habitude. Il a cependant détourné le regard et a pris un « coussin de gym » – je n'ai jamais su comment cela s'appelait réellement, étant donné que Mr. Williams, le prof de sport, ne le savait pas non plus – et me l'a lancé dessus. De surprise, je suis tombée sur le matelas situé à mes pieds. La pièce s'est allumée, les vieux détecteurs de mouvement alertés par le geste brusque.

La pièce était assez vaste comparée au reste de l'établissement, ce qui faisait qu'elle était la seule salle où nous avions réellement de la place. Elle était recouverte au sol par des matelas bleus décolorés par le soleil qui perçait à travers les vitre du mur tout à gauche, et par le nombre d'élèves qui avaient foulé et souffert au même endroit que moi en ce moment. Le mur du fond s'ouvrait sur deux portes. La première menait aux vestiaires – aussi appelés « Zone où tu peux à tout moment t'asphyxier à cause de l'odeur de déo ou de parfum, voire de sueur quand les deux premiers ne la cachent pas » – et la deuxième était une sortie de secours. Contre le mur de droite, en face des baies vitrées mal nettoyées, s'entassaient toutes sortes de matelas plus gros les uns que les autres, une poutre qui avait dû leur coûter le salaire moyen d'un prof dans cet établissement, quelques ballons de fitness jamais utilisés et des balles de basket et de volleyball.

Bref, il n'y avait rien de fou à faire à cet endroit. Sauf se prendre une coussin dans la tête, apparemment.

Je me suis relevée, et j'ai pris un autre coussin, plus grand. Il a esquivé au dernier moment, et j'ai affiché une grimace déçue. Il ne méritait pas d'être aussi beau avec tout ce qu'il avait fait. Ce serait bien fait pour lui s'il était défiguré par ma faute. J'ai tenté de m'imaginer Wheeler défiguré, mais je me suis rendue compte que je n'y arrivais pas. Peut-être que, s'il avait été défiguré, je n'aurais plus eu de sentiments pour lui ? Cela me semblait assez improbable, mais je me raccrochais à cette idée.

— Raté !

La voix de celui qui occupait mes pensées m'a faite revenir sur terre. Focus, Lena.

Avant qu'il ne me jette un nouveau coussin, j'ai ai pris deux plus petits dans mes bras et les ai lancés à l'aveuglette. L'un est allé rebondir sur un ballon de fitness, l'autre s'est fiché pile à l'endroit que je voulais.

— Aïe ! a gémi Wheeler.

Il a passé son pieds derrière moi et a réussi je ne sais comment à taper dans un ballon, qui a atterri dans mon ventre.

Je suis tombée à la renverse, mes jambes entremêlées aux siennes de telle façon que je ne savais même plus ce qui m'appartenait, et ce qui lui appartenait.

— Bien fait pour toi, a-t-il fait avec son incorrigible sourire narquois.

Cette fois, il ne m'a même pas énervée. Il était trop près, beaucoup trop près. La main de Wheeler était posée sur ma taille, entourant mon dos de ses bras. Son regard était posé sur moi. J'ai tenté de me décaler pour qu'il n'entende pas les battements frénétiques de mon cœur.

— Eh bien, Raven, on est mal à l'aise ?

J'ai pris une grande inspiration.

— Non. Jamais.

— On dirait bien, pourtant.

Il s'est relevé, m'entraînant avec lui. Toujours trop près de lui.

— Ça ne te dérange pas si je m'approche, alors ?

Son menton s'est posé sur mes cheveux sans que j'arrive articuler un mot. C'était peut-être mieux comme ça, d'ailleurs, car me connaissant, j'aurais sorti un « je t'aime ».

J'ai dû me faire violence pour ne pas le toucher, pendant que lui ne se gênait pas vraiment. Tout en restant dans la décence, quand même. 

Et puis, comme s'il ne s'était rien passé, il s'est retourné, et a disparu derrière la porte du gymnase.

Tout ça en moins de deux minutes.

Je suis restée là, assise à même le sol, ne sachant à quoi j'étais censée penser dans cette situation.


~Plagiat interdit~

≈1150 mots

Publication le 20/05/23.

Seulement deux SemainesWhere stories live. Discover now