[FIFTEEN] C h a r l i e

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Il était vingt-trois heures cinquante-trois, et dans quelques minutes nous serions lundi. Un peu plus de deux jours que nous étions là. Aucun bruit, seulement le silence oppressant de la nuit. La lune éclairait la pièce dans laquelle j'étais allongé un peu trop fort, et je ne parvenais pas à trouver le sommeil.

Et les sièges du CDI n'y feraient rien. Je pensais trop, à plein de choses en même temps. De temps à autres, régulièrement, surgissait de la mer de mes songes un visage ; celui de Raven. Elle écartait les images de ma mère, le visage déformé par la colère, de mon père, sur son lit d'hôpital, de celui qui a ruiné la vie de ma petite sœur, lors du procès. 

Elle passait au-dessus du visage déçu de Deborah quand je lui ai dit que je refusais d'être en couple avec elle. Elle éclipsait les airs blessés de toutes les personnes qui m'ont un jour côtoyé. Elle me faisait me sentir bien, c'est tout. Et ça me suffisait entièrement.

J'ai repensé à notre défi. Est-ce que j'avais bien fait de le lui proposer ? Ou aurait-il été mieux pour elle comme pour moi qu'on s'en tienne à ce qu'on était vraiment, des personnes qui n'étaient pas faites pour s'entendre ? Moi, connu de tout le bahut, mais inconnu pour moi-même, et elle, qui cherchait encore à se trouver ?

C'était une question à laquelle je ne savais pas répondre, et surtout à laquelle je ne voulais pas répondre. Inutile de me faire du souci pour elle. Inutile d'en conclure que ce n'était qu'un grosse erreur, tout comme ma vie était une immense mascarade, commencée avant ma naissance.

Retour à l'image de départ, November, ma sœur. J'aurais pu l'aider. Pourquoi ne l'ai-je pas aidée ?

Fond noir, puis une autre apparition. Ma mère doit m'en vouloir. Est-ce que ma mère m'en voulait ? Je n'ai jamais pu le lui demander. Je n'ai jamais pu rien faire.

J'ai entendu du bruit dans les escaliers. Tiré de mes pensées, je suis sorti dans le couloir. Il faisait sombre, je ne voyais pas à dix mètres à cause de l'absence de fenêtres dans le corridor. Pourtant, j'ai continué à avancer prudemment, curieux de savoir ce qu'il se passait. C'était forcément Raven, mais que faisait-elle réveillée à cette heure-là ?

Pourquoi ça t'intéresse ?

J'ai traversé le hall et j'ai monté les escaliers. Un juron a retenti dans le calme du bâtiment et j'ai souri. Elle pouvait donc se montrer normale, quand elle était seule.

Lorsque je me suis arrêté devant une salle, j'ai enfin relevé la tête. Elle était là, enveloppée par la nuit, ses cheveux roux détachés en boucles naturelles – après deux jours sans lisseur, ils avaient repris leur forme d'origine –, ses grands yeux semblant hésiter entre le bleu et le vert, son corps caché par son tailleur vert – qui lui faudrait bientôt changer, d'ailleurs, au vu des nombreuses tâches de peinture et d'encre de feutre – et son jean clair. 

Elle a levé la tête vers moi. Un éclair de surprise est passé sur ses traits mais elle s'est tout de suite reprise. J'ai remarqué à ses pieds un pouf. Un pouf ?

— Qu'est-ce que tu fais là ? ai-je chuchoté alors que nous étions seuls.

— C'est plutôt à toi que je devrais poser la question, tu ne crois pas ? a-t-elle répondu sur le même ton.

Ses sourcils étaient froncés et laissaient apparaître deux stries au-dessus de son nez. Ember m'avait dit, un jour, que cela donnait des rides. Mais November disait toujours n'importe quoi.

— Quand tu entends un bruit étrange suivi d'un juron, tu vas voir ce qu'il se passe, c'est la réaction normale d'un humain normal, il me semble.

Elle m'a regardé longuement, l'air de chercher si je mentais ou si je disais bien la vérité. Pourquoi aurais-je menti ?

— Je suis seulement allée au CDI afin de prendre un pouf. Ce n'est pas vraiment confortable, le sol de la salle de littérature.

J'ai esquissé un sourire amusé et elle a baissé les yeux, embarrassée.

— Pourquoi tu n'as pas allée chercher de coussins avant ? 

— Je ne voulais pas descendre.

Elle a soudain semblé fascinée par ses chaussures.

— Pourquoi ?

Je commençais à prendre goût à sa gêne, vraiment. Est-ce que cela faisait de moi une mauvaise personne ? De toute façon, je l'étais déjà, non ?

— Je ne sais pas, je... ne voulais pas te voir, c'est tout.

J'ai lâché un petit ricanement qui n'a pas paru lui plaire puisqu'elle a fait une grimace très réussie.

Et puis il y avait autre chose. Elle paraissait chamboulée. Il avait dû se passer quelque chose. 

— Raven, ça va ?

Elle n'a rien cherché à cacher. Elle savait sans doute que c'était vain. Elle savait aussi que j'étais coriace quand j'avais quelque chose en tête. Et puis l'ambiance était différente. C'était comme si l'obscurité nous avait rapprochés. Il n'y avait plus de défi, ou de passé compliqué. Il y avait juste elle et moi, c'est tout.

— J'ai fait un cauchemar.

J'ai soupiré et je l'ai installée près de moi, assise contre le mur. J'ai pris sa main et j'ai repris :

— Tu veux en parler ?

Elle a semblé avoir un tout petit instant d'hésitation, puis elle a répondu.

— Tu étais là, avec toute ta bande de copains. Moi, j'étais seule. Dans mon cauchemar (Elle a appuyé sur ces mots et j'ai compris qu'elle voulait m'envoyer un message.), j'étais amoureuse de toi. Je ne me suis pas défendue quand vous m'avez frappée. Je ne faisais que te regarder sans rien faire.

Elle ne me regardait pas. Je ne l'ai pas regardée. Nous sommes juste restés assis contre notre pan de mur, en silence.

J'ai fini par me tourner vers elle.

— Tu le sais que je suis désolé, n'est-ce pas ?

Elle a planté ses yeux droit dans les miens et j'ai du me faire force pour arriver à les quitter. Ses yeux étaient remplis de larmes, pourtant, c'est avec l'ombre d'un sourire dans la voix qu'elle a murmuré :

— Tu me l'as déjà dit, mais c'est toujours agréable à entendre.

Sa main était chaude dans la mienne, et je me suis dit qu'elle paraissait faite pour y rester tellement elle semblait sculptée en suivant les courbes de la mienne.

Je crois qu'on est restés dans cette position une heure. Ou peut-être deux, à la réflexion. En tout cas, ça m'a semblé durer une seconde. Puis, elle a laissé sa tête tomber sur mon épaule et s'est endormie.


~Plagiat interdit~

≈1100 mots

Publication le 19/05/23.


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Seulement deux SemainesWhere stories live. Discover now