[TEN] L e n a

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Quand je me suis rendu compte de ce que nous venions de faire, cela devait faire à peu près deux heures que c'était trop tard.

La salle d'arts-plastiques n'avait pas été épargnée, et nous non plus. Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous étions très colorés, et la salle aussi. Je me suis appuyée contre un mur tagué de feutre rose et ai inspecté les dégâts. Wheeler s'est mis près de moi et en a fait de même. Il ne paraissait pas plus inquiet que ça.

— On devrait arrêter, non ? ai-je tenté.

Apparemment, mon enthousiasme ne devait être débordant car il m'a immédiatement grillée.

— Tes yeux ne disent pas la même chose.

— Ah oui ? Et ils disent quoi ?

Il a brandi son sourire habituel et a lancé :

— Ils disent qu'ils veulent sortir la peinture.

J'ai sursauté sans avoir une raison valable.

— Wheeler, je t'interdis de faire ça !

— Allez, Raven, sois cool !

— Non, vraiment, ce n'est pas une bonne idée.

— Mais Raven, on vient de taguer une salle du lycée avec des feutres Maped...

J'ai regardé autour ne nous et me suis arrêtée sur son visage. En pensant au fait que j'avais été très près de lui, j'ai senti mon cœur tressauter dans ma poitrine. Il fallait vraiment que j'arrête, j'allais finir par croire que j'avais des problèmes cardiaques.

— C'est vrai, mais ce n'est justement pas une raison pour recommencer. C'était une erreur.

Il a levé les yeux au ciel, l'air de ne pas écouter ce que je disais.

— Quoi que je dise, de toute façon, ce sera toujours une erreur. Je pense que tu devrais te lâcher, un peu. Arrêter d'être aussi... Coincée. Sans vouloir vexer ton égo, bien sûr.

Il m'a lancé un regard moqueur.

Il a grimacé à ces mots et j'ai senti la colère de ces derniers mois remonter en moi. Il ne pouvait pas. Pas maintenant, alors qu'on avait autant de jours à rester ensemble. C'était impossible.

— Tais-toi.

J'ai toujours été timide. Ma voix n'a jamais été forte, ferme, puissante, comme j'en rêvais. Non, c'était la voix de Lena Raven, une voix ni aiguë, ni grave, qui n'avait strictement aucune autorité. Pourtant, Wheeler s'est retourné lentement, comme s'il avait... peur ?

— Eh, calme-toi, Raven ! J'ai juste dit que...

— Arrête. Arrête de dire ça.

Ça y est, je recommençais à être fragile. Bon sang, je ne pouvais pas lui dire ce que je pensais ? J'étais obligée de lui demander d'arrêter pour aller mieux ? 

— Tout va bien ?

Il avait vu mes larmes. Je n'ai jamais eu plus envie de me taper que ce jour-là. Je m'auto-énervais. Franchement, j'avais passé des années à réprimer mes larmes. Ce n'était vraiment pas le moment de commencer à pleurer. Surtout pas devant ce garçon.

— Oui, oui. Allons prendre la peinture.

Il a hoché la tête, et je l'ai remercié mentalement de ne pas avoir insisté. Qu'est-ce que j'aurais dit, dans ce cas ? Est-ce que j'aurais tout déballé d'un coup ?

Il a ouvert un pot de peinture et a tout renversé d'un coup sur moi. Autant dire que je ne m'y attendais pas. En quelques secondes, je me suis retrouvée avec trois kilos de peinture violette sur moi. J'ai regardé Wheeler. Il m'a regardé. J'ai fait la moue, et ça devait être plutôt comique car il a éclaté de rire.

— Wheeler ! Ce n'est pas drôle ! Regarde ce que tu as fait !

— Ah si, c'est drôle. Je n'avais jamais imaginé une Ravenpurple ! Ça te va bien.

Je me suis sentie rougir sous l'épaisse couche de peinture mauve. Je me suis penchée pour attraper le premier bidon à disposition. Jaune. Parfait. Assorti au vert du feutre que je lui avais mis partout – et qui le décrédibilisait beaucoup, d'ailleurs.

Il a vu venir le coup. Il aurait pu s'écarter. Il aurait pu rire sur mes techniques d'attaque plus que nulles, comme il l'aurait fait il y a trois ans. Mais non, il a seulement attendu. Comme s'il voulait me faire plaisir. 

J'ai pris le pot, l'ai positionné au-dessus de sa tête, et ai laissé la peinture couler lentement sur son visage, sur ses vêtements de malheur, sur son corps qui n'était pas si repoussant, finalement. J'ai laissé traîner mes mains sur une personne que je n'aurais jamais pensé toucher. Il a dû s'en rendre compte, et moi au même moment, car nous avons fait un pas en arrière en même temps. Pour une fois, je n'ai pas rougi. Je n'ai pas regretté. Mes doigts sentaient encore l'électricité de son corps, et rêvaient de s'y poser à nouveau. J'ai compris quelque chose. Quoiqu'il arrive en ce moment – et c'était très étrange, d'ailleurs –, il fallait que je lui pardonne. Qu'il s'excuse. Que nous soyons amis. Que j'aie un prétexte pour le toucher encore.

Le jaune répandu sur tout son corps, je me suis reculée pour contempler mon œuvre. Aucun de nous n'a parlé, mais il paraissait... comprendre quelque chose que je ne comprenais pas. Je le voyais sur ses lèvres étirées dans un sourire que je connaissais si bien, ses yeux remplis de lumière posés sur moi. 

J'ai entortillé une mèche autour de mon index – tic que j'avais depuis ma plus tendre enfance – et ai attendu qu'il parle. Qu'il dise n'importe quoi, mais qu'il brise l'atmosphère lourde, l'électricité palpable. Mais rien. 

— Parfait, ai-je finalement annoncé, au bord de la crise d'hystérie. Nous sommes quittes.

— Ouais, a-t-il répondu.

Pitié, n'importe qui, qui que vous soyez, ma conscience, une divinité quelconque, dites-moi quoi répondre ! 

Alors, j'ai fait quelque chose que je sais très bien faire : l'intello rabat-joie.

— On devrait peut-être... Arrêter, maintenant. On s'est bien amusés, non ?

Et j'ai pu poser mes mains sur toi, sur tes bras, tes épaules, ton visage...

Lena, reprends-toi ! hurlait ma conscience.

Continue, continue, ça ne peut pas te faire de mal ! poursuivait une autre partie de mon corps, que je n'arrivais à cerner.

Il a hoché la tête, je me suis détournée. Avant de sortir à son tour, il m'a souri.

— Merci.

Je n'ai jamais compris ce que c'était censé sous-entendre.


~Plagiat interdit~

≈1000 mots

Publication le 03/05/23.

Seulement deux SemainesWhere stories live. Discover now