[TWENTY-ONE] C h a r l i e

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Je me suis réveillé, le mardi matin, avec encore plus de courbatures que la veille. Mais, étrangement, retrouver mon lit ne figurait pas dans la liste de mes objectifs principaux. 

Je me suis levé et j'ai marché jusqu'à la salle des profs. Tous les jours, je petit-déjeunais en cachette en raison de ma colocataire, qui ne cessait de faire des remarques sur mon alimentation. Et sur les réserves de nourriture, qui baissaient à vue d'œil. Pourtant, je savais qu'on en aurait assez jusqu'à la fin du séjour, donc pourquoi s'en priver ? J'ai attrapé un fruit, puis j'ai décidé que, finalement, je n'avais pas faim. 

Comme je ne savais pas vraiment quoi faire, je suis monté à l'étage. Raven dormait toujours dans sa fidèle salle 102. Je me suis autorisé une minute pour observer ses cheveux qui recommençaient légèrement à boucler après quatre jours sans avoir croisé un lisseur. Sa peau était presque diaphane dans la quasi-pénombre de la pièce. Ses pommettes étaient hautes et soutenues, ses jambes fines et longues, quatre au cinq cheveux blancs trahissaient son anxiété quotidienne.

Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai réalisé à quel point je tenais à elle. Pas seulement en temps que personne normale ; elle était une des seules personnes au monde à me comprendre réellement, et ce sans que je ne lui aie rien dit. Alors oui, elle avait de gros préjugés sur moi – chose qui était totalement compréhensible au vu de ce que j'avais fait –, mais lorsqu'elle posait ses yeux sur moi, elle semblait voir autre chose que l'image que les autres m'octroyaient. 

Pourtant je savais bien que je n'étais rien de ce qu'il fallait pour une fille bien comme elle. Et ses parents... Je les avais vus, une fois, du temps où elle me considérait encore comme ce que l'on pourrait qualifier « ami ». Jamais ils n'accepteraient que leur fille parle à quelqu'un comme moi. Je devais l'accepter avant qu'elle ne dévoile ses sentiments. Sinon, me connaissant, je serais capable de l'embrasser. Vraiment.

Et ce n'était même pas une question d'amour. Je n'avais seulement jamais rencontré une personne aussi... fascinante.

Je commençais vraiment à en avoir marre de me prendre la tête comme ça. Peut-être ne ressentait-elle rien pour moi, et je me faisais des idées. Mais l'épisode dans le couloir semblait crier le contraire. Et la façon dont elle me parlait avait tellement changée en quatre jours... 

Focus, Charlie !

Je me suis retourné pour aller manger. J'ai détaché mon regard de la rousse, toujours allongée, et j'ai posé un pied en dehors de la pièce. J'allais poser le deuxième quand une voix encore endormie m'a apostrophé.

— Reste, Wheeler.

Elle s'était relevée sur les coudes et m'a adressé un regard suppliant. Je me suis rendu compte qu'elle avait dormi à même le sol, la tête posé sur un pouf du CDI.

Et moi qui me plaignais de mes courbatures. Il faudrait que je lui propose de venir avec moi, à la bibliothèque. Quitte à lui céder des coussins qui auraient pu m'épargner quelques crampes.

— Rav ? Tu es réveillée ?

Je n'ai jamais su pourquoi j'ai demandé ça. Évidemment qu'elle était réveillée, puisqu'elle me demandait de rester. Est-ce que c'était juste pour entendre à nouveau sa voix ? Ou étais-je juste totalement stupide ? Je crois que la réponse était un peu des deux, en fait.

— Oui.

Elle a soudain ouvert les yeux, semblant de réveiller pour de vrai.

— Wheeler ? C'est toi ? Il est quelle heure ? a-t-elle demandé d'un ton presque paniqué.

— En personne, Rav. Et il est sept heures.

— Il faut que je me lève !

— Pourquoi ?

Elle a ouvert les yeux plus grand, ce que je pensais impossible.

— Parce que sinon, je vais m'habituer à me lever tard et il va m'être très difficile de reprendre le rythme !

J'ai exagérément soupiré, et elle a souri avec gêne. Son premier sourire de la journée, et mes commentaires en étaient la cause. Pour une fois que je ne faisais pleurer personne. Ça changeait de d'habitude.

— Ou alors, tu te fais juste plaisir et tu fais ce dont tu as envie.

— Il ne vaut mieux pas que je fasse ce dont j'ai envie, non, a-t-elle grommelé.

Ce n'est que maintenant que je me rends compte du deuxième sens de cette phrase en apparence tout à fait innocente. Je me demande si j'aurais profité de l'occasion pour la taquiner, ou si j'aurais juste continué à parler, car l'instant le semblait assez privilégié.

— Bon, je ne sais pas ce que je peux faire pour toi alors !

Elle est sortie de son lit de fortune et a rejoint la porte. J'ai attendu qu'elle soit assez loin puis suis sorti à mon tour. Pas question qu'elle croie que je la suivais, j'avais quand même un semblant de dignité, même si celle-ci avait été très endommagée ses derniers jours, au même titre que mon orgueil.

À cause de Raven, je n'avais pas eu le temps de petit-déjeuner. J'ai donc marché vers la salle des profs, même si je n'avais pas très faim. Pas du tout même. Oui, je voulais juste la voir.

Quand je suis arrivé, elle était attablée – déjà assez inattendu – et mangeait un... biscuit. Raven. Raven mangeait un biscuit.

C'était comme voir un vache manger du poulet : complètement impossible. À part si les vaches sont carnivores, auquel cas on m'aurait menti toute ma vie. Mais là n'est pas le sujet.

Elle était sans cesse en train de critiquer la façon dont je me nourrissais. C'était comme une trahison envers sa propre personne de manger ce genre de choses. Et pourtant, le regard dans le vide, une boîte de cookies à la main, elle continuait à manger.

J'ai alors su qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Raven n'était pas comme ça, habituellement. Et, question d'égo, si elle avait voulu manger des biscuits, elle aurait attendu d'être sûre d'être seule. On était un peu pareils, au fond. Toujours la fierté.

Intelligence – je préfère ça en passant –, intuition, appelez ça comme vous voulez, mais je lui ai demandé :

— Raven, c'est quoi ta passion ?


~Plagiat interdit~

≈1010 mots.

Publication le 06/04/23

Seulement deux SemainesWhere stories live. Discover now