Chapitre 2 : Les immeubles aussi

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Il n'a rien dit et je n'ai rien demandé. Ni son nom ni son histoire ni pourquoi sa peau brulait bordel ! C'est d'ailleurs surement la dernière chose que j'aurais osée demander, bien que ce soit la première réponse que je brulais d'envie de connaître. J'ai reposé mon casque sur les oreilles, et filais avant qu'il ne décide de complètement s'embraser sous mes yeux. Alors, j'ai dégerpis sans prendre le temps de jetter un ultime coup d'œil à son visage, il était un peu plus grand que moi, yeux noisette et rieurs, cheveux châtains, peau claire et nez de travers. C'était à peu près tout ce dont je devais me souvenir, si par malheur, je me retrouvais à devoir faire un rapport à la police d'un pyromane enragé se promenant dans les rues de Toulouse. Dans une autre vie, j'aurais eu le courage de lui poser toutes les questions qui me traversaient la tête, peut-être même que je l'aurais moi-même livré aux flics. Mais, ça, c'est dans un monde idéal dans lequel je ne vis pas. Je fis juste une petite prière pour le café en sortant, espérant qu'il échappe aux flammes parce que c'était vraiment le meilleur rapport qualité-prix de la rue.


L'appartement était toujours vide quand j'ouvris la porte au bout des escaliers en colimaçons, j'augmentais un peu plus la musique sur mes oreilles, sachant qu'en me coupant de l'ouïe, je me rendais vulnérable à n'importe quel effet de surprise. L'adrénaline que ce mec m'avait injecté dans les veines m'avait donné l'énergie de me préparer, je pouvais au moins lui être reconnaissante de ça. _Je serai là dans une heure_

Jo me répondit par quelques émojis choisis aléatoirement qui semblaient exprimer son enthousiasme. Je n'étais pas sortie depuis des semaines, le choc allait être brutal.

C'est l'odeur de cramé qui me sortit de mes révasseries. Je crus d'abord que j'hallucinais, ce qui me semblait être le plus probable, puis l'odeur s'installa dans mes poumons et je me mis à tousser. Et, ça, je ne pouvais pas le rêver. Je courus à la cuisine remettant en question tout mon emploi du temps ? Est-ce que des pates à l'eau pouvaient prendre feu ? Est-ce que j'avais laissé quelque chose dans le four ? J'aurais aimé que mon corps possède le réflexe de la fuite. Pourtant, je choisis d'abord l'attaque en m'enfonçant dans la cuisine pour voir ce qui pouvait bien être à l'origine de cette situation. Je gardai dans un coin de mon cerveau une petite pensée pour la caution de notre appartement et je nous maudissais toutes les quatre de ne pas avoir remplacé les piles de l'alarme incendie la semaine dernière. À mon grand soulagement, ce n'était pas notre cuisine qui brûlait, nos assureurs pouvaient être tranquilles. Les plaques électriques n'étaient même pas branchées et la fumée ne semblaient finalement pas venir de chez nous. Je remontais mon T-shirt en m'approchant de la fênêtre. Un bruit d'explosion me projeta contre le mur. Sous mes yeux, la cour intérieure et le bâtiment d'en face se consumait sous les flammes, s'attaquant doucement à ma chambre que je venais de quitter à l'autre bout de l'appartement.


Un cri d'horreur resta coincé dans mes poumons. Comment c'était possible ? Ça n'arrive jamais que chez les autres ce genre de situation, on est en plein milieu de la ville, comment c'est possible ? Je finis par abandonner mes questionnements sur le pourquoi du comment et décidai à me mettre à fuir, ce qui dans l'immédiat était surement la meilleure décision. L'adrénaline se déversait à grands coups de pompe cardiaque dans mes veines et je remerciais le destin de ne pas encore m'être changé pour avoir la liberté de courir en jean et chaussettes plutôt qu'en robe et Doc Marteens. Je mouillais mon T-shirt avant de le reposer sur mon nez, et descendis les marches en pierres quatre par quatre. C'était la seule issue que je voyais, nous étions au troisième étage, le saut de la fenêtre n'était pas une bonne idée. Chaque marche que je dévalai vidait un peu plus ma tête des pensées noires qui m'alourdissaient en permanence pour n'être remplacé que par celles qui me permettraient de survivre dans l'immédiat. Je venais d'acquérir une pilote de survie qui me criait à tue-tête dans les tympans « NE RESPIRE PAS LA FUMÉE », « NE TOMBE PAS ! », « PLUS VITE BORDEL ». Comme si j'avais besoin qu'on me fasse un tuto survit.

 

Ce n'est qu'une fois dans la cour que je compris que cette fameuse pilote m'allait être sans doute plus nécéssaire que prévu. J'avais une affection particulière pour la vieille bâtisse hausmanienne dans laquelle nous vivions depuis un an, mais à aucun moment je n'avais eu la présence d'esprit de me dire que ce genre de bâtiments ne prodiguait qu'une seule sortie, actuellement infranchissable, puisque englouties par les flammes. Je frappais aux portes du rez-de-chaussée, priant pour qu'une personne m'ouvre et me fasse passer par sa fenêtre. L'absence de voiture dans la cour réduisait les chances qu'un voisin ou une voisine soit actuellement rentré. Je sentais déjà mes joues rougir, pas seulement de la course que je venais de m'imposer. Alors, je repensais à la cave de l'immeuble, celle dans laquelle je n'avais pas osé suivre l'électricien au moment de la connexion de notre box wifi parce que l'endroit ne m'inspirait absolument pas confiance. Cet endroit m'avait fait flipper pourtant à cet instant précis, il ressemblait surtout au couloir du salut. Sans réfléchir davatange, je revins sur mes pas et repris ma descente à la recherche de fraicheur dans les tréfonds de la ville. S'il n'y avait pas de sortie là-dessous, il y aurait au moins suffisamment de frais et d'humidité pour que je puisse y attendre les secours. J'y croyais dur comme fer. Quelques secondes au moins.


J'avais beau continuer de m'enfoncer dans le couloir, me baissant de plus en plus pour éviter de me cogner la tête, la chaleur continuait de se faire sentir sur mon dos, à l'arrière de ma nuque. La panique m'empêchait de rationaliser la situation et mon pilote me criait que si je m'arrêtais maintenant, je pouvais être sûre que je ne reverrais jamais la lumière. Je devais sauver ma peau, littéralement, et pour ça, courir restait la meilleure option. Les premières secondes semblèrent des heures puis d'un seul coup, après une énième chute indolore et un énième virage mal anticipé dans le noir, je cessai de sentir le poids de mes jambes et de mon corps, aussi légère qu'une feuille morte, mon corps bougait avec une agilité nouvellement découverte. J'en profitai pour allonger mes enjambées et calmer ma respiration. L'odeur de fumée envahissait toujours mes narines et par je ne sais quel miracle la musique jouait toujours sur mes oreilles, rythmant ma course. Au moins je n'avais pas perdu mon téléphone, ça me sera surement utile. Je ne pensais plus à rien, la tête vidée des cours, de Mathias, de mes colocs ou du manque de but à mes journées. Pour la première fois depuis longtemps ma jauge « envie de vivre » était pleine à en déborder, d'ailleurs le sens de ma vie était actuellement très clair : survivre. Je me découvrais une folle envie de revoir un jour la lumière du soleil, de pouvoir respirer calmement et savourer les choses simples. Je me sentais proche de ce stade qui donnait l'envie viscérale de dire aux personnes qui nous entoure qu'on les aime.


Pourtant, ma détermination récente et mes espoirs retrouvés n'avaient pas tout pouvoir sur mes chances de survie, et je m'en aperçus lorsque mes pieds ne trouvèrent plus le sol pour les soutenir et que ma chute marqua la fin brutale de ma course. J'avais beau me savoir incroyablement légère quelques secondes plus tôt, je ressentais désormais l'attraction terrestre s'abattre sur moi douloureusement. La pilote m'affirma que je ne me relèverais pas de cette chute-là et je la laissais basculer les boutons de commande sur _off_.

Poids plumeWhere stories live. Discover now