Chapitre 10 : Retour au bercail

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Issha : 

Je repérais la personne que Ness m'avait décrite et fonçais vers elle tête baissée. Le _corps d'emprunt _que j'avais choisi m'octroyait le luxe de rentrer dans à peu près qui je voulais sans que personne ose me chercher des ennuis par la suite. Le jeune que je renversai protesta à voix haute alors que je m'éloignai déjà, ignorant complètement les remarques d'autres passants. Je ne m'arrêtai pour me retourner qu'une fois arrivée au bout de la rue. La voiture qui traversa la route à bonne allure ne donna pas de brusque coup de volant pour s'écraser dans la vitre du magasin de déco. Ce n'était pas pour lui que je venais de faire ça, m'avait expliqué Ness, mais pour la conductrice et l'enfant passager qu'elle avait installé près d'elle. Et parfois, être passeuse était aussi simple et évident que ça. Parfois, seulement. Le reste du temps, il était presque impossible de retracer les réactions à la chaîne que nos actions déclenchaient, et nous n'avions pas à le faire. C'était rare de connaître les tenants et les aboutissants des messages, même les interprètes comme Ness ou Lihua détenaient rarement ce genre d'information. Peut-être qu'un des quatre protagonistes allaient faire une découverte fondamentale pour ce monde qui en avait bien besoin, ou peut-être que ce n'était simplement pas leur lieu ni leur moment et qu'ils vivraient tous une vie paisible. Ce n'était pas mon rôle de savoir qui elles étaient et quel rôle elles jouaient, j'étais seulement  passeuse. J'incarnais les messages que les interprètes recevaient, c'était tout.

Hiyan attendait devant la porte de ma chambre, bras croisés et menton baissé. Je l'imaginais parfaitement capable de s'endormir dans cette position, évitant autant que possible sa tâche de faucheuse.

- Ils ont retrouvé son corps, dit-il en levant la tête d'un coup.

Je tournais la tête dans tous les sens pour vérifier que personne ne trainait dans les parages pour nous entendre. Si j'avais pu, je lui aurais arraché la tête pour oser manquer d'autant de discrétion et de pudeur !

- Comment ?

- Kaori a refusé de me dire.

- Il était où ?

- Tu veux rire ?

 - Dis toujours.

- Chez elle.

- Qu.. ? Comment c'est possible ? 

- Aucune idée, mais elle doit nous prendre pour une sacrée bande de bras cassés pour ne pas avoir pensé à commencer par là.

- Ça n'arrive jamais et ça ne fait aucun sens !

- Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire.

J'essayais de faire défiler toutes les options dans ma tête, mais je n'arrivais pas à donner sens à cette situation. Amaris nous avait dit avoir chuté dans les sous-sols de son immeuble en tentant de le fuir, qui avait pu la retrouver sans l'emmener à l'hôpital ? Qui avait pu la retrouver tout cours ? Nous avions passé des heures à chercher ces sous-sols. Comment quelqu'un avait pu remettre son corps chez elle ?

- On va pouvoir la renvoyer ?

- Peut-être. Kaori nous attend au Pilier Nord.

Je serrai les dents, retirai ma main de la poignée que je m'apprêtais à ouvrir et me tournais vers Hiyan pour lui faire comprendre qu'il pouvait ouvrir la marche. S'il fallait que ce soit fait, autant qu'on en finisse maintenant. Attendre plus longtemps ne servait à rien. Cette situation avait quelque chose de suspect et ne pas parvenir à mettre le doigt dessus me frustrait plus que de raison. D'un geste assuré, il remit en place sa veste en lin marine.

- Comment tu te sens ?

Je le remarquais me jeter des coups d'œil par-dessus son épaule en avançant et je ne pouvais pas m'empêcher d'être reconnaissante envers ce bout d'âme qui m'accompagnait depuis le début.

Poids plumeOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz