Chapitre 11 : Cette vie et les autres

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Amaris 


Il était plus que clair que je n'avais rien compris au plan d'Issha au moment où Kaori s'approcha de moi pour me dire d'un ton trop calme :

- Pour alourdir ton âme, il va falloir que j'aille chercher des émotions, des souvenirs dans ta mémoire, celle de cette vie et des autres. Je préfère te prévenir, ce sont les émotions négatives qui nous alourdissent, la douleur, la culpabilité, la peur, l'envie... Ça altérera le ton poids d'âme, ce qui devrait pouvoir te faire redescendre dans le Vivier.

- Le Vivier ?

- Le monde des Vivants.

Super. Lihua avait quitté la pièce pour s'assurer que personne ne vienne nous déranger pendant ce tour de magie un peu risqué. Hiyan s'était aussi mit en retrait, près à me récupérer en cas de décès malencontreux. Mes mains s'étaient mises à trembler malgré le mantra un peu bancal que je me répétais en silence et qui tenait en trois mots : ça va aller. J'avais déjà fait mieux en termes pep talk. Mourir était une chose, le faire dans la peur et la douleur en était une autre. Je n'étais même pas sûre de me souvenir exactement de ces émotions, je soupçonnais l'Entre d'y être pour quelque chose. Je me rappelais simplement que pour avoir testé, quelques fois, je n'étais pas spécialement fan.

- J'ai le droit de dire que j'ai peur maintenant ?

Le visage de Kaori était indescriptible, mais j'avais l'impression d'y déceler un soupçon de pitié là où j'aurais préféré voir de la compassion.

- L'inverse aurait été surprenant.

- Vous n'avez plus peur vous ?

- La peur fait partie d'un équilibre. Ses avertissements sont précieux.

- Ça ne répond pas à ma question.

- J'ai peur aussi Amaris, peur pour toi.

- J'aurais mieux fait de me taire.

Il sourit du regard. Dans le fond ça me faisait un tout petit peu plaisir, sauf que ce plaisir ne pesait pas lourd dans la balance. Si j'avais l'occasion de survivre, je n'hésiterais pas à savourer ces mots plus tard. J'avais un don pour ressasser, autant qu'il serve à quelque chose de positif.

- Tu remercieras tout le monde pour moi, je ne comprends toujours pas pourquoi vous avez pris la peine de faire tout ça, mais je suis reconnaissante. J'ai aimé vous rencontrer.

- Le plaisir a été partagé.

- Remercie surtout Issha, j'ai l'impression que c'est à elle que je dois le plus.

- Tu pourras lui dire toi-même, elle t'attend en bas.

J'acquiesçai en silence, mimant son mouvement quand il se rassit par terre, moi toujours en tailleurs tandis qu'il s'asseyait sur ses genoux. 

- Je vais utiliser le même chemin que tout à l'heure. Celui qui nous a permis de retrouver ton corps.

- D'accord.

- Je vais me servir de... ce lien qui nous connecte pour influencer ton inconscient et faire monter des images, des ressentis. Essaye de ne pas lutter, je sais que c'est compliqué.

Il tendit les mains et je saisis ses avant-bras, enroulant une nouvelle fois mes doigts autour de lui tandis que les siens s'enroulaient sur mes coudes. Un frisson familier me secoua de nouveau, à moins que ce soit mon corps entier qui se soit aussi mis à trembler. Je tentai d'ancrer dans ma mémoire les derniers instants de cette légèreté qui ne m'avait pas quitté depuis que j'avais mis les pieds ici. J'ancrai l'absence d'inquiétude, la déconnection avec tout, les sensations, les odeurs parfumées, le silence, la tranquillité de me sentir moins... moi. Une larme coula sur ma joue, mélange de toutes ces émotions qui avaient déjà un gout amer. Finalement, est-ce que je n'aurais pas pu rester planquée ici jusqu'à la fin des temps ? Attendre que le monde s'écroule et qu'autre chose le remplace, être spectatrice de tout ça plutôt que victime. 

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