Chapitre 17 : Pomme à terre

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Marcher dans la rue à dix-sept heures suscitait désormais autant d'adrénaline que si je sortais de boîte à trois heures. Sous chaque pavé pouvait surgir une ombre, un esprit, un démon satanique avec la simple volonté de m'étouffer ou de me faire rôtir en enfer. Je n'exagérais qu'à peine ayant réellement réadapté tout mon emploi du temps à cette nouvelle phobie. Je ne sortais plus après le coucher du soleil, et me débrouillais toujours pour rentrer avec les filles, quitte à rester deux heures à la bibliothèque. Les lieux bondés, que j'avais toujours détesté, étaient devenu le seul endroit où je me sentais en sécurité. C'était pourtant ridicule, une poignée d'individu n'allait pas stopper un mec aux compétences surnaturelles. S'il suffisait d'un seul contact de sa part, le lieu et la nombre de personnes importaient peu. Heureusement pour moi, les jours devenaient de plus en plus froid et je prenais garde à couvrir autant de morceau de ma peau que nécessaire. Je ne savais pas quoi faire de plus.

- Tu abuses pas un peu ? M'avait gentiment dit Edème quand j'étais entrée dans sa boutique emmitouflée des pieds à la tête.

 Et elle ? Elle abusait pas un peu de vivre dans la tranquillité d'esprit et la paix universelle alors que je flippe à l'idée de traverser ma rue seule ? Je lui souris sans rien répondre. Mes hormones n'aidaient pas à rester calme, j'étais à une semaine de mes règles et le filtre qui séparait ordinairement mes lèvres de mes pensées était off.

Je me dépêchais de faire les achats dont j'avais besoin pour troisième week-end confinement en bonne et due forme. ML m'attendait à l'extérieur, j'avais promis de lui préparer une brioche au chocolat si elle avait l'amabilité de m'attendre quelques minutes. L'appel du ventre avait eu raison d'elle.

- Tout va bien Ris ? Me demanda Edème une fois à la caisse. Tu as l'air un peu pâle, si je peux me permettre.

- Tout va bien, merci.

- Les cours se passent bien ?

Edème avait un an de plus que moi, je l'avais rencontré l'année dernière pendant l'intégration des nouveaux élèves. C'était avant qu'elle arrête les études pour rejoindre cette petite entreprise, je ne l'avais jamais vu aussi heureuse depuis.

- Oui. Je suis désolée, Marie-Lou m'attend dehors.

Je m'en voulais, ou plutôt, j'en voulais à mon caractère de merde de ne pas savoir faire d'entorse à sa mauvaise humeur pour les personnes agréables et bienveillantes.


De manière générale, ML faisait partie des personnes en qui j'avais le plus confiance. Confiance qui prit fin au moment où je réalisai que personne ne m'attendait à l'extérieur. Mes poumons se compressèrent en traçant mentalement l'itinéraire des dix malheureuses minutes qui me séparait de ma porte cochère. Je sortis mon téléphone pour faire le constat accablant que la traitresse était bel et bien partie pour répondre à l'appel de Melissa. À croire que l'adage « les potes avant les putes » n'était pas d'actualité pour tout le monde. Je restais sur place quelques minutes, le temps de la fustiger mentalement et sonder les environs pour m'assurer qu'il n'y avait aucun brun au nez tordu. Si je n'étais pas aussi chargée et consciente des regards qu'on pouvait me jeter, je serais rentrée en courant, mais ni mon cardio, ni mes cuisses ou mon mental n'étaient près à m'accorder un tel exploit.

Je m'engouffrais dans les rues de Toulouse en dandinant des fesses pour allonger chacun de mes pas, avec un peu de chance je donnais seulement l'impression de vouloir éviter l'averse qui menaçait. Je tirais sur mes jambes pour gagner chaque centimètre possible, tout en gardant la tête baissée pour ne pas être reconnue. J'étais navrée de réaliser que le simple fait de sortir constituait désormais une angoisse majeure. Certainement dans le top 3 de mes anxiétés existentielles du mois.

Poids plumeWhere stories live. Discover now