Chapitre 16 : Nos corps perdus

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 Issha

- Tu devrais consulter.

Amaris, assise au bord du lit, massait la plante de son pieds gauche, faisant de grands cercles pour étaler la crème de ses pouces. Les traces de brulure avaient quasiment disparues, mais l'irrégularité de sa peau encore souple, laissait deviner les cicatrices à venir.

- Pour dire quoi ? Que je me suis brûlée la plante des pieds il y a deux semaines. Et si on me demande comment, je réponds que je l'ai imaginé si fort que mon corps s'est modifié par la force de ma pensée ? C'est en HP que je vais finir si j'arrive avec une histoire pareille.

Elle n'avait pas tort, j'imaginais facilement le choc qu'elle devait ressentir face aux changements de ces dernières semaines. Dans le flot d'informations que nous lui avions déversé, je doutais que le chapitre sur le pouvoir de la pensée et son influence sur le corps l'ait particulièrement marqué. Certainement pas autant ceux sur la mort comme éternel recommencement, la réincarnation ou l'existence d'une destinée omnisciente. 

- Comment tu te sens ?

Le chaos qui régnait dans ses pensées était presque palpable à travers la pièce, l'atmosphère de la pièce en était significativement affecté. Je n'étais pas experte en énergies d'ambiance mais celles ci étaient si fortes qu'un Médian aurait sans doute pu les percevoir. Amaris gardait les yeux baissés sur ses pieds, cherchant un point de fuite pour éviter mon regard.

- Vivante, je crois que c'est une bon début.

- Plutôt oui.

Une boule familière se glissa dans mon estomac, réalisant que j'oubliais peu à peu ce que c'était de se sentir vivante, de commanditer son propre corps, de ressentir ses propres émotions, sa propre faim ou même sa propre fatigue. Pas celles du corps d'une autre. Je chassai ce vortex de pensées pour me recentrer sur la jeune femme qui me faisait face et dont les traits m'étaient désormais presque aussi familiers que le corps d'emprunt que j'occupais.

- Est-ce que tu t'es rappelée de quelque chose ?

Je savais que la question devenait tabou au fil des jours, qu'Amaris tentait d'éradiquer l'incident de sa mémoire. Elle était restée quarante huit heures inconsciente. Son âme, détachée de son enveloppe charnelle, était introuvable aussi bien dans le Vivier que dans l'Entre. Son corps attendait, parfaitement immobile, alors que la plante de ses pieds avaient d'abord rougis, puis sa peau s'était décollée, soulevée par des cloques impressionnantes. Le processus avait finalement arrêté d'empirer lorsqu'elle avait reprit conscience. La questions restait pourtant inchangée, où était-elle partie durant ces deux jours ? 

- Non, je me souviens de rien.

Elle prit une grande inspiration et repassa une couche de crème sur sa peau meurtrie.

- Peut-être une guérisseuse ? reprit-elle en espérant changer de sujet. Dans les villages chez moi, il y a toujours des guérisseuses ou des personnes qui coupent le feu avec les énergies, la magie, ou je ne sais quel effet placebo. Tu crois que ça pourrait fonctionner ?

- Ça se pourrait oui.

- Si c'est une question d'énergie, vous devriez vous y connaître dans l'Entre, non ? 

Sa question sonnait comme un reproche, mais je décidais de ne pas le relever.

- Certaines Psychées en étaient capables de leur vivants, je suppose qu'il y a des personnes qui le peuvent et d'autres qui le prétendent seulement.

Poids plumeWhere stories live. Discover now