Chapitre 46

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└ 𝙍𝙪𝙗𝙚𝙣

Ravin, couteau rouillé, lettres, lac, poêle, feu.

Combien de temps s'est écoulé ?

J'ai arrêté de regarder l'horloge depuis un bon moment.

Un bon moment que je vagabonde sans savoir où je me trouve réellement, sans n'avoir aucune quête à laquelle m'accrocher pour me sortir de l'eau. Je coule, sans cesse, mais finis toujours par remonter à la surface pour reprendre un peu d'oxygène. Une torture incessante, impossible de souffler. Le jour de l'enterrement d'Aaron et Erinn a bien failli me laisser pourrir dans les abysses. Mon cœur a dû pomper dans mes dernières forces pour me ramener sur la terre ferme, dans toute la colère contre celles que je considérais comme mes amies et dans toute la tristesse aux coups de poing si douloureux.

Ce jour-là, j'étouffais dans mon costume bien trop grand.

Toutes ces questions à répétition.

Ces condoléances que je connaissais par cœur.

Ravin, couteau rouillé, lettres, lac, poêle, feu.

La dernière fois que j'ai réalisé que je pleurais, c'était en prononçant le discours que leurs parents tenaient absolument à ce que je fasse. Moi, Ruben, le survivant. Tous les yeux étaient rivés sur moi, scrutant chacun de mes faits et gestes à la recherche d'une faille.

Aujourd'hui, les larmes coulent sans que je le remarque.

Tous les jours.

Elles se déversent sur mes draps qui n'ont pas été changés depuis des semaines. Elles s'écroulent sur la photo que je tiens fermement dans mes mains, celle de l'écureuil que j'avais réussi à capturer avant qu'il ne disparaisse brusquement pour toujours. Elles imbibent mon pull poisson que tout le monde avait peint dans la joie et la bonne humeur. Elles tombent sans que je ne le sente.

Je ne sens plus rien du tout.

J'entends seulement des gens me parler à tue-tête. Ils me disent des tas de choses qui se volatilisent aussitôt dans l'air. Ils déambulent autour de mon corps cadavérique à la recherche d'une légère lumière pouvant égayer leur journée, en vain.

"Ruben, le seul qui s'en est bien sorti."

"Peut-être qu'il aurait dû laisser sa place à ses amis."

"Après tout, qu'est-ce qu'il a de spécial ?"

"Il a eu de la chance, c'est tout."

À chaque fois que je ferme les yeux, j'y suis à nouveau. Dans la pénombre de la forêt, courant entre les gigantesques arbres sans savoir où aller, jusqu'à avoir le souffle qui m'étouffe. Tous les événements se mélangent dans ma tête en ébullition, je n'arrive plus à réfléchir. 

PÊCHE CRAMOISIEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant