Chapitre 4 - Paradoxe Angélique

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Le 3 Novembre, vers midi ou dans ces eaux-là. Cette année encore.

Dans la rue, j'ai croisé des gens. La foule, le peuple. Avec ses odeurs de transpiration, ses respirations essoufflées, son bruit, ses effluves de parfums furtifs et son brouhaha constant.

En traversant le passage piéton, un détail m'a soudain frappé au visage, comme une gifle cinglante.

Devant, la galerie marchande, avec ses restau', mon Bar-Kebab, ses odeurs, ses lumières. Mais qui dit galerie dit vitres propres et brillantes, aussi. D'habitude, j'y fais pas attention, mais là ça m'a agressé la rétine comme le flash d'un appareil photo après une séance de shooting people.

Dans la rue, je fais carrément tâche.

Sans rire. Arrivé sur le trottoir adjacent, je me suis stoppé à quelques mètres de l'entrée du restau' et j'ai observé mon reflet dans une glace pour la seconde fois depuis hier. Le rouge de mes cheveux tranche sur le gris des affiches publicitaires décolorées par la pluie, le vert vif de mes yeux parait surnaturel par rapport au commun des mortels qui marmonne et me pousse, toutes ces estimables personnes étant trop pressées par leurs vies structurées pour prêter attention à l'image du type béat que je dois renvoyer.

Mon visage est souligné par les deux petits triangles violacés qui peignent mes pommettes, depuis des années maintenant, si bien que je n'y faisais plus attention jusqu'à cet instant.

J'ai encore ma dégaine punk du lycée sans pour autant avoir l'air d'un étudiant.

J'ai encore cette insolente minceur qui donne à ma carrure d'adulte des faux semblants rachitiques et quelques restes de l'allure dégingandée d'un voyou de vingt ans.

Merde.

Je passe la main sur ma nuque et me détaille un long moment, comme si je me voyais pour la première fois depuis des semaines et franchement, je m'inspire pas confiance. Je crois même que ça, ça m'a tiré un rire amer et que je me suis plié de rire au beau milieu de la rue.

Je devais avoir l'air d'un crétin.

Cependant, une fois que j'ai eu terminé de me mirer, un autre détail a accroché mon regard et sans trop savoir pourquoi, j'ai collé mon front à la vitre froide. Réflexe purement instinctif de la bête affamée, vois-tu ? Même de l'extérieur ça sentait bon la viande grillée et les senteurs d'oignons caramélisés, alors je suis resté là. Un moment, une heure, dix secondes. Et puis mon regard a dérivé vers la gauche, glissant sur le comptoir, trainant par-delà les menus tout en dévorant mentalement la malbouffe qui excitait mon estomac enragé.

C'est alors que je suis tombé sur une vision étrange. Non, non, pas une vision. Un paradoxe ambulant serait plus juste. Le paradoxe ambulant donc, était assis à l'une des petites tables d'intérieures brillantes et métalliques, bâfrant élégamment son kebab sauce tartare. De temps en temps il regardait la fenêtre d'un air impassible puis se remettait à mâchonner son pain, avec la grâce d'un ange qui accepte l'hostie confiée par son paternel Tout-Puissant.

Bon Dieu.

Nonchalamment baissés sur le repas dont il avalait tranquillement le contenu, deux yeux frangés de cils sombres et d'une épaisseur incroyable concurrençaient une blondeur à couper le souffle : mon paradoxe était affublé de cheveux rebelles qui partaient en tous sens et qui, par moments, encadraient son visage d'une belle frange à la couleur plus sombre. Je dis paradoxe, parce que je n'aurai jamais pensé qu'un ange pouvait trainer dans un endroit pareil. Il y avait réellement quelque chose de pas humain chez ce type, mais impossible de déterminer quoi.

D'ordinaire, je ne fixe pas les gens car je n'aime pas que l'on me fixe mais là, j'ai bien dû rester un quart d'heure dans la rue juste pour le regarder à travers le verre. J'ai observé sa mâchoire qui bougeait lentement, le va et vient de sa pomme d'Adam lorsqu'il déglutissait. J'ai capté son grain de peau, la délicatesse de ses lèvres happant la sauce, j'ai imaginé la couleur de ses yeux, j'ai deviné la finesse de son menton, puis je suis descendu vers son cou. Un cou enroulé dans un fin pull à col gris perle, le genre de pull que je hais.

Pendant un moment, j'ai oublié le temps. J'ai oublié ce que je foutais devant ce restaurant. J'ai oublié l'appel de la nourriture. J'ai même dû oublier mon nom. Tout ce qui restait, c'était son buste et ses bras à la fluidité mécanique qui tranquillement apportaient le kebab à sa bouche. Bras-Bouche.

Et puis il s'est essuyé, il s'est levé pour payer et il est parti.

Et moi j'étais toujours scotché à la vitre. Lorsque j'ai repris mes esprits, j'ai reculé avec précaution, cessant de fixer le vide où il était assis quelques instants plus tôt pour pivoter vers la rue, envoûté.

Là, j'ai halluciné.

Il était devant moi.

Il m'a souri.

***

J'ai horreur des oignons, sinon. Et vous ?

A vendredi prochain ! Ya.


Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeWhere stories live. Discover now