Chapitre 11 - Les lignes de miel

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Le 17 décembre de cette année.

Oh, si tu savais. Oui. Mais actuellement, tu ne sais rien, alors je vais écrire. J'ai le sourire aux lèvres, les membres qui tressautent chaque minute, je ne tiens pas en place. Comment pourrais-je... ?

Mais avant ça, laisse-moi te raconter.

Hier. Ouais, sûrement hier, j'étais au supermarché. Je l'ai noté, c'est inscrit entre tes pages. Hier, nous étions deux. Lui, et moi. Il m'a tué de l'intérieur, cet Ange. Il m'a rué de coups avec un regard, il m'a paralysé entre ses lèvres, comme à chaque fois que je le vois. J'étais foutu. Un légume violet, une connerie visqueuse et flasque qui trainait à ses pieds, et qu'il a écrasé sous son talon. Une vermine. Un nuisible.

Alors j'ai déraillé.

Et ça m'a fait du bien.

J'ai gueulé, oh ça, tout le monde m'a entendu. Plus jamais je ne remettrais les pieds dans ce market à esquimaux made in climatisation. Jamais. Après avoir bu ses paroles, lorsque le son de sa voix eut suffisamment imbibé ma chair, j'ai déchiré mon pull. Comme une bête enragée, avec les ongles, écartant le tissu, déliant chaque maille dans un craquement céleste, foudroyant les conventions sociales qui vous invitent gentiment à ne pas vous déshabiller en public.

Mais, hé. Qui parlait de se déshabiller ?

Se déshabiller, c'est volontaire. C'est un verbe, une action définie. Se rendre libre, cracher sur des fringues qui vous semblent une prison, déchainer sa fureur la plus animale sur une masse de laine en haïssant son être, devenir dingue à cause d'une couleur, même de par la simple évocation de cette teinte ignominieuse que je ne perçois même plus...

Honnêtement, moi j'appelle pas ça « se déshabiller ».

Je me souviens même de chacune de ses paroles. C'était comme une transe, une délivrance hideuse, un combat entre mon être actuel et la conscience fragile dont je m'étais enrobé.

J'étais comme un bonbon à la violette, mais avec un sympathique goût de moisi, en somme.

« Le violet est une couleur à double tranchant : Il n'y a pas de demi-mesure psychologique la concernant. Derrière son allure électrique, le violet est la couleur de la douceur et du rêve. On la raccroche aussi à la mélancolie et à la solitude. »

« Et toi, tu me rends triste. »

Douceur, rêve, mélancolie, et plus que tout, solitude. Je me souviens de son air déçu, de ce visage-là. Je le rendais triste ? Non. J'étais triste. Il l'a vu. Oh, ce mec me trouble, on le saura. Il a lu en moi. Et ça m'a fait peur.

Quand j'eus calmé mon accès de colère, il n'avait pas bougé. Déjà, les employés du supermarché se ruaient sur moi avec leurs têtes de molosses baveux, plusieurs clients terrorisés ayant couiné à l'aide dans tous les interphones du magasin. Vulnérable, à demi-nu mais le regard brillant, je l'ai toisé, mon Ange. Et tandis qu'on m'attachait les bras dans le dos avec brusquerie, je n'ai pas cessé de plonger mes yeux dans les siens. J'étais presque heureux. Son sourire triste avait disparu et une certaine fierté perçait dans ses prunelles lumineuses, comme s'il avait attendu ça. Comme s'il avait voulu me mettre hors de moi, le fourbe.

Je ne disais rien, maitrisé, mais pas vaincu. Quand un des vigiles s'est approché de lui, avec cette nonchalance pleine d'assurance, ce menton volontaire, le surplombant avec indifférence et courtoisie, j'ai bien cru que j'allais lui retailler les burnes avec un couteau à beurre.

- Ce fou furieux ne vous a rien fait, jeune homme ? qu'il a marmonné.

Et lui, une main dans ses cheveux en désordre, toujours cette sublime ébauche de sourire peinte sur la figure, il a répondu, avec douceur :

Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeWhere stories live. Discover now