Chapitre 12 - De l'autre côté du miroir

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Cher journal,

L'aube est vraiment sublime, ce matin. Tout de suite, il est probablement quatre heures, et c'est trop tôt, mais je n'ai pas sommeil.

J'admire le ciel.

J'aime tellement contempler l'aube, les crépuscules, le soleil. C'est comme une renaissance, ou une sorte de mort, chaque jour qui passe, comme si le soleil avait une vie. Ça m'apaise, ça m'électrise, répandant dans mes veines une folie aigre-douce, une quiétude immense. J'aime tellement ces sensations.

Et puis, suis-je obligé de le dire ? Je l'ai écrit tant de fois depuis que j'ai débuté ce journal. Ces couleurs, si puissantes et si chaudes, ce mélange de vermeil et d'incarnat, cette beauté éclatante, dorée et magistrale, les fines traces bleutées et roses dans le lointain me fascinent, depuis toujours. Je les aime. Elles sont mes compagnes de chaque matin, chaque fin de soirée, chaque journée qui fuie, inexorablement.

Parfois, j'envie le soleil. Si petit, mais pourtant colossal. Il écrase le monde, il est au-dessus de tous et de tout, et pourtant, de la fenêtre du cinquième étage où je loge, je jurais pouvoir le caresser du bout des doigts. Le voir ronronner sous ma paume, absorbant sa chaleur brûlante. Certains jours, c'est tout ce que je souhaiterai : pouvoir toucher le soleil.

Enfin, ce n'est peut-être pas tout à fait vrai.

Il y a aussi cet homme.

Cet homme qui me donne envie de m'enfermer ici et de ne plus rien faire d'autre que peindre. Le peindre lui, homme du soleil aux yeux éteints. C'est vraiment à cela qu'il me fait penser. Il est si semblable au soleil. Mais... il dégage cette froideur asociale et perdue, comme une sorte de mélancolie grisante, un vide amer et dur, trop dur. Même pour moi.

Et il y a autre chose. Cette aura dévorante qui m'étreint chaque jour depuis notre rencontre, ce jour où j'étais au restaurant.

Comme je te l'ai raconté, ce n'était pas vraiment une rencontre. Il me regardait, c'est tout. J'étais... mal à l'aise. Je mangeais, tu sais, comme d'habitude, au milieu de la salle, vers les vitres. Et puis là, une paire d'yeux extraordinaires se posent sur moi et me fixent. De façon si intense.

J'ai presque cru que j'allais recracher ce que j'avais dans la bouche.

Ce jour-là, j'ai tout fait pour ne pas lever les yeux sur lui. Si ça se trouve, ce n'était pas moi qu'il regardait. Je n'en savais rien, je ne pouvais pas prétendre être l'objet de sa contemplation, après tout. Et puis, son regard s'est fait si profond, si pénétrant. Je le sentais qui pesait littéralement sur moi, et sur personne d'autre.

C'était clair.

Et j'allais comme être absorbé dans son iris. Alors, pris d'un mauvais vertige, je me suis levé, en essayant de trembler le moins possible. J'ai salué le patron, j'ai payé mon kebab -absolument divin d'ailleurs, il faut que je note l'adresse et le nom exact de la sauce spéciale- et je suis sorti. Discrètement, sans me faire voir. Pour le regarder m'observer.

Vraiment étrange, n'est-ce pas ? Il était de dos, quasiment accroché à la vitre, un peu de buée sortant passivement de sa bouche avant de disparaître sur la glace. Les yeux grands ouverts, admirant ma place vide. Ça aurait pu être drôle. Et pourtant, je n'ai pas eu le cœur à rire, ni même à sourire. Parce que je l'ai regardé, moi qui aime tant scruter les gens pour imprimer leurs visages dans ma mémoire, ne pas les oublier, jamais.

Je l'ai regardé.

Et ce que j'ai vu m'a fait froid dans le dos. De premier abord, je l'ai trouvé fatigué, en sortant du Kebab. Puis, quand je me suis approché, j'ai vu le gouffre dans son regard. Le vide vert au bord de l'explosion, le lambeau de cœur pendu désespérément à sa paupière fixe. Un abîme de désillusion et de grisaille, le fantôme d'une vie morne et d'une âme fissurée.

Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeWhere stories live. Discover now