Chapitre 6 - Breaking the habit

129 23 18
                                    

Le 14 novembre de cette année.

Je n'ai pas résolu mon problème. En revanche, je commence à m'y habituer.

Je suppose que c'est comme ça que doivent voir les daltoniens, tout en nuances. Les formes, les tons, tout me semble plus net. J'ai dormi en travers de mon lit, cette nuit. Sur toi. Maintenant, tu es froissé, un peu comme mon âme en ce moment. Tu te déchires sur les côtés, tu plies, mais tu restes blanc. Et moi, j'ai encore des choses à écrire. Même si ce truc aux yeux est loin de me réjouir, j'avoue cependant en tirer une vicieuse satisfaction : ma vie n'a plus le goût las et répétitif d'avant.

J'apprends, j'observe les choses en détail, avec une minutie que je n'aurais jamais pensé avoir en moi jusqu'à maintenant. Je ne fixe plus l'écran de la télé, par exemple : je scrute son contour, le repli de métal sur le côté qui relie les nombreux fils câblés branchés les uns aux autres, la mince couche de poussière blanchâtre sur l'écran gris foncé, un peu trop sombre.

Les émissions tournant en boucle dans le poste ne me semblent plus si intéressantes que ça maintenant qu'elles ont perdu de leurs couleurs éclatantes. Parfois je me pose sur le coin du sofa, mes yeux divaguent d'un visage trop maquillé à un autre, d'une présentatrice trop blonde et une autre, et je ferme les yeux, tout simplement. Je ne vois plus rien, j'écoute. Le babillement de leurs voix rapides, la profondeur grave des cordes vocales du mec qui les interrompt. La petite musique dérisoire qui grince avant d'annoncer le générique de cette série quelconque, les notes langoureuses et tirées au violon, le petit tic-tic de la télé qui foire à cause d'un faux contact. C'est amusant. Depuis que je m'adonne à ce petit jeu d'écoute, je le vois moins souvent.

J'ai l'impression d'être plus serein, et même si je sais, putain, je sais qu'il est là, quelque part, son reflet factice, j'essaye de ne plus y faire attention. Mais il danse, il me charme. Avec son sourire, son kebab à la main, ses yeux dont je me rends compte que je ne verrais jamais la couleur. Cette ombre tremblante me suit partout, et même ici, dans mon lit, alors que je rédige mes lettres de plus en plus vite, de plus en plus mal aussi. Il s'allonge à côté de moi, soulève les draps dans un mouvement imaginaire et se glisse contre ma peau.

C'est froid, je l'ignore, j'écris.

Mon miroir a quant à lui cessé d'être insupportable depuis que je l'ai décroché, tout en faisant un effort monstrueux pour me dire que c'était des conneries et qu'il ne parlait pas, qu'il ne renvoyait que mon visage fatigué.

Mais ce type, lui, reste là. Tandis que je raconte ça, tu ne peux pas imaginer à quel point je dois faire taire mes pensées. Ces mains invisibles sont comme un frisson qui parcoure mon corps, le souffle d'air glacé qui émane de sa bouche me murmure milles prénoms pouvant lui appartenir. Il me contemple, soupire, caresse mes mains, fait tomber mon stylo.

Y'a de l'encre partout sur ma couette, maintenant. Je tremble, il faut que j'éteigne la lumière et que je dorme, pour qu'il disparaisse. Je tends le bras au-dessus de lui, pour ne pas lui faire mal, parce qu'inconsciemment je ne veux pas croire qu'il s'agit d'une illusion. C'est la première fois depuis un moment que je ne dors plus seul et mine de rien, même si j'essaye de me convaincre qu'il n'y a que moi ici, ça fait du bien.

Mon doigt trouve le bouton de l'interrupteur, je te pose à la va-vite sur la table de nuit.

Dors bien.


Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeWhere stories live. Discover now