Chapitre 5 - Une centaine de nuances de Gris

105 23 22
                                    

Le 13 Novembre de cette année.

Dix jours où tu es resté vide.

Après ma rencontre du restaurant, je suis rentré chez moi comme un automate, complètement hagard, comme si on m'avait ôté un truc important. J'ai traversé la rue sans la voir, j'ai heurté tout le monde sans m'en apercevoir et pourtant j'avais l'impression d'être tout seul. Le mec du kebab, il m'a souri et il s'est tiré. Un joli sourire.

Pourtant, une chose m'a chiffonné l'esprit une fois à la maison. J'avais pas vu ses yeux. Quand il s'était approché de moi, j'avais rien vu. Rien.

Juste ce sourire un peu triste et puis son dos une fois parti.

Remettons nous les idées en place, tu veux ? Je suis penché en ce moment sur ton papier, sur mon lit et les jambes croisées, le stylo qui passe nerveusement de ma main à ma bouche. Il est temps pour moi de te dire pourquoi tu existes, cher petit journal.

Quand j'ai vu ce reportage il y a quelques jours, je ne m'imaginais pas du tout faire la rencontre de ce mec. Je me savais étrange, mais depuis cet incident, tout s'est mis à déconner. Tout. J'ai jeté mes recherches, j'ai abandonné ce que j'avais commencé. J'ai brisé le tableau de liège, j'ai recommencé ma grève de la faim involontaire. J'ai l'air encore plus taré qu'avant.

Mais il y a une différence : je n'en ai plus que l'air.

Je deviens dingue.

Quand j'ai vu ce type, je ne suis pas tombé amoureux comme une donzelle, ça non. J'ai été fasciné. Mais pire encore. Maintenant, j'en deviens parano. Je me lève, je suis maigre comme une épine, mes yeux brûlent. Depuis dix jours, c'est pareil. J'ai mal, j'ai dû attraper une belle saloperie, et je flippe.

Oui, sans plaisanter, j'ai peur. Parce que quand je me réveille, quand je regarde autour de moi, je ne vois que le contraste de son corps, qui passe devant mes yeux.

Depuis dix jours, tout est gris et sombre, constellé de points minuscules et frétillants qui s'agitent devant ma rétine, grouillant nerveusement sous ma cornée. J'imagine même entendre leurs glissements vaseux dans mes globes oculaires. Quelle horreur. Le monde est gris. Gris perle comme son pull, gris clair comme ses cheveux, gris souris comme les réverbères de la rue. Tout est jeu d'ombre et de lumière, depuis plus d'une semaine. Aurais-je écopé d'une maladie inconnue ? Ou d'une malédiction, comme dans les Contes pour enfants ?

Eh, la pigmentation de l'œil ne disparaît pas comme ça, c'est scientifique. Mais je n'ai pas vu ses yeux. Il était devant moi.

Il m'a maudit.

Cette image me hante, tourne dans mon sang, gronde contre les parois de mon crâne. Elle effleure ma raison. Il me rend malade.

Je n'ai plus faim, mes lèvres s'assèchent et je ne suis même plus certain de savoir parler. Parfois je m'en assure, je cause au miroir de la salle de bain.

Il ne me répond pas, l'abruti. Il me fixe, avec ses yeux gris vides et cyniques, et il me balance un sourire tordu. Un beau sourire aux dents bien blanches. Si blanches que je ne relève pas la lueur de folie qui perce peu à peu à travers ce sourire, qui me souffle que le blanc concentre toutes ces belles couleurs que je ne vois plus.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Quand j'en ai assez de l'entendre me narguer je retourne dans le salon, et je marche. Je cherche une solution à cet étrange problème. Après tout, cette vision du monde, bien que terrifiante, est plutôt jolie. On se croirait dans les années cinquante... C'est ça, j'ai atterri dans un film en noir et blanc, sauf que les objets sont composés de centaines de nuances de gris.

Je marche, je cherche, je marche. Je me cogne, souvent.

Maintenant journal, tu existes pour m'aider à résoudre ce putain de problème.

Pourquoi ma vie devient-elle aussi décolorée qu'un jour de pluie ?

***

Hey. Je précise, encore, que le titre du chapitre était prévu ainsi bien avant que CETTE CHOSE ne sorte au cinéma. Et dire que maintenant, on adapte le tome 2... Ahlàlà. Heureusement que j'ai fini cette histoire, tiens. Sinon, merci infiniment pour la quarantaine de lectures ! Ca peu paraître peu, mais ça me touche plus que vous ne le croyez. Je vous fais des bisous, à vendredi prochain. Ya. 

Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeWhere stories live. Discover now