Chapitre 19 - Cette lumière, derrière tes yeux

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Le 22 décembre de cette année, au matin. Il fait si froid.

Dehors, y'a des gens qui vont au cinéma. Y'a des gens qui observent autour d'eux, et qui baissent le nez sur leur téléphone. Y'a des enfants qui regardent leur mère, et qui aimeraient être plus grand, juste pour pouvoir la toiser d'en haut. Y'a des gens qui pleurent, qui voient pas leurs larmes, y'a des gens hurlent, et entendent pas leurs cris. Y'a des ruptures qui finissent jamais, des peaux qui se touchent et qui s'embrasent, des bébés qui naissent, un soleil qui brille, des fleurs fanées. Y'a même des gens qui crèvent, ces cons.

Et y'a toi, qui me caresse le dos en parlant. T'as la voix d'un enfant, là, et tu le sais même pas.

« Ne bouges pas. Tu restes assis par terre, je t'apporte des gouttes pour les yeux, et puis je change les draps. »

« Restes là. »

Je sens ton bras qui se décolle, tes doigts qui s'effacent, loin de mes sensations. J'ai pas de larmes, j'ai plus d'yeux. Qu'elles crèvent ces gouttes, toutes les perles du monde, tout le sérum physiologique de l'Univers. Que tous les sols s'effondrent, que tous les draps se tâchent, déchirés, en sang, en sperme, en coton ou en soie, ça m'est égal.

Je voudrais juste que tu restes. Je sais pas où tu es. Je sais pas où on va. J'ai jamais rien su.

Je flippe. J'ai horreur de ça. Ce sentiment, ce trou ouvert dans ma chair, cette impression de vide magistral qui jubile en bavant, même si le vide, ça bave pas. Le mur contre mon dos, un pied en bois contre ma hanche, un tissu fin serré dans ma main. Sûrement qu'il est tombé par terre, avec moi. De toute manière, on pouvait pas tomber plus bas.

Oh, bon sang. C'est quoi ça ?

Je sursaute, pitoyable, apeuré. Je bouge la tête. Mes cheveux. Ce sont mes cheveux. Je lève la main, en caresse une mèche. Depuis quand ils sont doux, hein ? Et mes jambes, contre moi ? Et mon échine, dans le plâtre du mur ? Et mon crâne, frappé en arrière, encore et encore ? Ça fait un bruit sourd, un truc comme un craquement, une connerie osseuse et inhumaine. Je sens la douleur. Tenace, enivrante, mille fois présente. Et une odeur acide, presque du détergeant, emplie mon nez, ma bouche, ou ce qui reste de mes sens.

Où sont passés ta peau, ton visage, tes yeux ? Où est le monde, exactement ?

« Axel ? C'est moi. Lèves la tête et desserres les dents, tu vas te briser la mâchoire, à force. Je suis là. »

T'es là, Roxas. Merci de préciser, j'aurais pas deviné. Je lève le menton, expose ma gorge, ouvres les yeux. Comme je peux. Quelque chose de froid me coule dans l'œil gauche, dans l'œil droit, lentement. Des larmes artificielles, salées, sinistres copies sanitaires censées faire du bien à l'organe, qui au contraire me niquent le globe oculaire plus encore.

« Putain de bordel de merde à la con, saloperie de fumisterie, ignoble sérum de mon trouffion ! »

« Elégant. »

« Merci. Arrêtes ça, s'il te plait. Je vais pleurer. »

« Tu pleures déjà. »

Il a juste, à nouveau. C'est cruel. Prostré, je l'écoute marcher, seulement guidé par le frottement du drap contre ses doigts. Le morceau que j'avais en main se barre, emporté dans le courant maniaque d'un Roxas tout à fait calme, et j'essaye d'appréhender ce qu'il pense, dans l'instant.

« A quoi tu penses, Roxas ? »

Silence. Y'a peut-être que moi qui pense. Lui, il agit. En attendant, je tire sur mes paupières, caresse les épaisses veines apparues sur mes mains, ronge mes ongles avec insistance. La pièce est plongée dans le noir, un noir de cauchemar, un noir humide et froid, un noir de solitude et de crétinerie. Je cherche mes fringues autour de moi, hésitant, avant de me souvenir qu'elles sont dans la salle de bain. Enfin j'écoute un peu plus, immobile, avide du moindre son provenant de son être, toujours courbé, penché, larmoyant. Un animal perdu, roux, en proie à une souffrance indescriptible, une émotion sur laquelle personne ne peut poser le doigt sans se le faire bouffer entièrement.

Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeWhere stories live. Discover now