Chapitre 14 - Bonheur sucré-salé

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 Le 19 juin de cette année. Midi quarante-cinq passé.

Mais qu'ai-je fait ? 

Eh bien, sans rien faire d'autre que penser, alignant un pied devant l'autre, j'ai juste respiré l'odeur sucrée qui embaumait largement dans le hall d'entrée. Roxas, lui, presse ses doigts contre ma paume, puis les lâche, naturellement. C'est tiède. Un peu fluide, comme une caresse. Le sang résonne à mes oreilles et je ressens son écoulement par tous les pores de ma peau. Dans ma main, un coup de pression sanguine au bout de l'index, puis un petit tiraillement dans le creux du torse. 

Une seconde. 

Puis la panique.

C'est quoi, ce malaise, ce bonheur ? C'est quoi ces conneries ? Pourquoi tu tambourines, pourquoi tu chantes, pourquoi tu m'infliges ça, stupide petit membre sanglant, hein ? Pourquoi c'est pas une femme, le petit bout de mec en face, pourquoi il a pas un vagin, une poitrine ? Ca n'a pas d'importance, si ? Pourquoi il sourit, d'un sourire glaçant, un sourire sombre qui ne va pas avec ses yeux ? Pourquoi il me regarde ? 

Pourquoi je suis là. Qu'est-ce qui m'est arrivé, bon sang. Pourquoi ce doute, cette envie de gerber sur le monde, cette sensation, ce désir de le voir, encore. Plus clair, moins gris, plus vif, putain. Plus beau encore, plus qu'il ne l'est déjà . Et c'est quoi cette histoire ? Cette relation qui débute ? Mais c'est pas une relation. Alors c'est quoi ? 

C'est quoi, ça.

Je suis livide, je le sais. Et, est-ce bien le moment pour piquer un coup de panique, juste sur le paillasson ? C'est absurde.

Mais là je réalise, un peu. Ca va trop vite, et c'est trop fort. Et ce cœur qui bat, et cette âme qui sombre. Parce que j'ai jamais aimé personne ? Oui, jamais dans ce sens. Pas de façon aussi aigue, aussi glauque, aussi complète. 

Et là , ça me tombe dessus comme le tsunami qui tord l'arbre, qui noie les enfants, qui détruit les villes, les bâtiments, les rêves. C'est Hiroshima une seconde dans ma propre poitrine. Et je me dis que, non, je ne devrais pas ressentir aussi fort, ni être aussi excessif. Parce qu'un adulte se contrôle, parce que dans les films, tout est perçu avec du recul. 

Parce que ma vie est un éternel recul. Moi, j'avance pas. Je veux me tirer, maintenant. Sortir en courant, pleurer ma mère comme un lâche, redevenir cet enfant plein d'assurance que j'étais. Il y a dix ans, j'y serais allé, armé jusqu'aux dents d'un courage indécent, le genre de courage qui vous fait vous recevoir une beigne à cause votre insolence. 

La vie vous fait ériger des barrières tout autour de votre âme, avec le temps. 

Et un jour, le barrage craque. 

Aujourd'hui, c'est mon tour. Je respire mal. La main attachée à ma gorge, je suffoque doucement, dans l'entrée. Vrai, j'ose pas faire un pas pendant qu'il se retire dans le salon, le visage plat mais le sourire aux lèvres, ses cheveux tournant autour de sa nuque comme s'il avait tortillé le doigt dedans. Et au fond ? Je suis une lavette. Cœur, je suis amoureux de ce blond-là . C'est trop con, mais c'est comme ça. Calme-toi, maintenant, s'il te plait. 

Plus tard, on en a causera à la maison, toi et moi, journal. En tête à tête. Puis on verra, et...

« Tu peux rentrer, je ne mords pas. Sauf quand j'ai mes raisons ! »

C'est sa voix amusée qui me sort de mon monde, tout à coup. Ouais, soudain, la petite ancre accrochée à ma langue se délie, descend dans mon œsophage et tombe, tombe, jusqu'à ce que je me sente plus léger. Plus moi. Je me sens mieux, lorsqu'il parle. 

Et j'aimerais bien connaitre ses raisons de mordre. Bah.

J'ôte mon blouson, les mains froides, les mouvements hachés. Puis j'entre, véritablement. L'appartement est assez large, le couloir très sombre, et mes yeux s'habituent mal à tous ces horribles tons grisâtres, parsemés de points noirs. Enfin, je vais entrer chez lui. Voir où il vit. Et c'est un peu comme s'il m'offrait un bout de ce qu'il est, par ce rendez-vous, alors qu'on se connaît à peine. Même si... j'ai l'impression de le connaitre. De l'avoir dans ma chair, par un quelconque mystère que ce soit. Et c'est assez surprenant.

Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeWhere stories live. Discover now