Chapitre 3-2

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*Mis à jour le 24.03.22*


— Je ne vous pensais pas si petite nature, persifla Eléa. Vous n'allez pas tomber dans les pommes au moins ?

— Hannah ? m'interrogea simplement Worth d'une voix tendue en posant sa main sur la mienne, tandis qu'il foudroyait du regard sa collègue qui n'eut même pas la politesse de baisser les yeux.

Incapable de prononcer un mot dans l'immédiat, j'essayai d'ordonner mes pensées et surtout de passer outre à la vague de peur et de fureur qui me submergeait et me donnait une irrésistible envie de me défouler sur le visage goguenard et suffisant de la fliquette. Ces sentiments émanaient pour une grande part de moi mais les ondes glaciales d'angoisse, de colère et de compassion qui m'enveloppèrent soudain ne m'appartenaient pas. J'avais eu de bonnes raisons de restée éloignée de l'inspecteur, cela faisait à peine une heure que j'étais là et le lien se renforçait déjà.

Mon regard se refocalisa sur les photos et dans un geste qui me demanda beaucoup d'effort, j'en saisis une et l'approchai de mon visage pour mieux voir les détails macabres, bien que ce geste me soit inutile. J'espérais seulement m'être trompé, même si cette probabilité frisait le zéro pointé.

— Vous avez peut-être besoin de lunettes ? Pour un rapace, ça casse un peu le mythe...

En une demi-seconde je lâchai la photo et dans un mouvement qui dû paraître flou aux autres occupants de la pièce, attrapai Monroe par le col de sa veste avant de la plaquer contre le mur.

— Je ne ferais pas ça si j'étais vous ! prévins-je Allistaire qui avait déjà la main sur son arme. Quant à vous, je ne sais pas quel est votre problème avec moi mais il va falloir le régler très vite, ou je ne donne pas cher de votre peau, murmurai-je à Eléa d'une voix emplie de colère et de menace.

— Mon problème avec vous ? me répondit-elle d'un ton outré sans se démonter une seconde malgré sa position précaire. Métamorphe ou pas, vous êtes et restez une civile, qui n'a strictement rien à faire dans une enquête criminelle. Vous n'avez rien à nous apporter que l'on ne trouverait pas par nous-même, vous n'êtes qu'un boulet médiatique de plus !

D'un geste du bras, j'interrompis Worth qui allait intervenir avant de me retourner vers Monroe et de planter mon regard dans le sien. Son sursaut involontaire devant mes iris transformés, fit s'étirer mes lèvres en un sourire froid et satisfait.

— Soit, lui répondis-je finalement. Même si vous avez tort, je vous concède ce point de vue. Mais je sais qu'il n'y a pas que cela. Crachez le morceau ! lui ordonnai-je.

— Lâchez moi ! me commanda-t-elle à son tour d'une voix légèrement tremblante en saisissant mes bras de ses mains pour tenter de se dégager.

Elle avait beau avoir de la poigne et savoir se défendre, elle me faisait l'effet d'une mouche entre les doigts d'un enfant, agaçante et inutile.

— Hannah, je crois que la démonstration de force a assez duré, me dit Worth d'une voix sèche.

— Je ne fais aucune démonstration, je veux seulement crever l'abcès pour qu'elle cesse son petit jeu de domination stupide ! Je veux qu'elle dise tout haut ce que je sens suinter par tous les pores de sa peau.

Je préférai surtout faire n'importe quoi plutôt que de devoir penser à ce que je venais de voir. Après tout, j'avais peut-être confondu ? Le passé et le présent ont parfois tendance à se mêler lorsque l'on est stressé. Pas toi, me susurra une petite voix que je préférai ignorer pour m'intéresser de nouveau à l'inspecteur Monroe, que je fini par lâcher.

— Monroe, tu dégages ! lui intima Worth d'une voix froide et sans réplique que je ne lui connaissais pas.

— Tu préfères faire confiance à... elle, plutôt qu'a un de tes hommes ? s'indigna-t-elle. Tu la connais à peine, c'est une...

— Dites-le ! Ce qui vous dérange vraiment c'est que je sois une métamorphe ?

— Oui ! avoua-t-elle enfin, semblant se libérer d'un poids. Nous faisons partie de la brigade spéciale qui traque les... monstres dans votre genre !

— Alors pour vous, nous sommes tous des monstres ?

— En puissance, oui !

— Et en quoi est-ce différent de vos criminels à vous ? Vous croyez que votre espèce nous a attendu pour avoir son armé de psychopathe ? Nous avons toujours existé. Nous avons toujours été là, parmis vous. Il n'y a pas plus de crimes imputables aux métamorphes maintenant qu'avant, c'est juste que vous y faites plus attention. Il y a des fous et des dégénérés partout inspecteur Monroe. Le mal n'est pas raciste lui, il prend racine là où l'on veut bien de lui, terminai-je d'une voix éteinte, de nouveau assaillie par de sombres souvenirs.

Worth, anormalement sombre, fixait sa subordonnée comme s'il la voyait pour la première fois.

— Je ferais une demande officielle de transfert dès ce soir, lui dit-il d'une voix froide et coupante. Maintenant sors. Et toi, tu as aussi un problème à l'idée de travailler avec une métamorphe ? demanda-t-il à Allistaire, qui se trémoussa mal à l'aise sous son regard assassin.

— Non, pas du tout, finit-il par ajouter d'un ton qu'il voulait désinvolte mais qui sonnait faux.

— Hannah ? me dit-il simplement en me tendant la photo que j'avais fait tomber au sol quelques minutes auparavant.

Je m'approchai à pas mesurés, sans pour autant reprendre le cliché dans mes mains, ce n'était pas utile.

— Ce symbole, lui dis-je en lui montrant une petite marque en forme de volutes imbriquées, marquée au fer rouge sur le haut de l'épaule de la victime. Je le reconnais.

— C'est vrai ! s'étonna Allistaire en s'approchant de nous. Comment avez-vous fait pour la repérer au milieu de toutes ces entailles ? Nous ne l'avions même pas remarqué !

— Parce que je l'avais déjà vu avant, lui répondis-je d'une voix serrée. Où avez-vous trouvé les corps ?

— Dans des entrepôts ou des usines désaffectées, me répondit Worth.

C'était comme si un étau m'avait brusquement comprimé la poitrine. Ça ne pouvait pas être une coïncidence, c'était impossible.

— Combien de corps, en combien de temps ?

— Trois, en trois jours, me répondit Monroe, qui contrairement à l'ordre pourtant limpide de Worth, était toujours là.

Je sentis ma carapace se fendiller peu à peu et dû puiser dans les maigres forces qu'il me restait pour garder la tête froide et ne rien laisser paraitre.

— Où as-tu déjà vu ce symbole ? me demanda Worth d'un ton un peu brusque. Tu sais ce qu'il signifie ?

— Oui, répondis-je en une affirmation unique aux deux questions. Par contre, je ne m'explique pas le lien avec votre affaire. Qui sont les victimes ?

— Si vous nous disiez déjà où vous avez vu ce symbole ? ne put s'empêcher de la ramener Eléa, s'attirant un nouveau regard noir de Worth qui pour autant ne dit rien et se contenta de me fixer, attendant ma réponse.

Le regard braqué sur les photos étalés devant moi pour ne pas croiser le regard de l'inspecteur, je cherchais le courage de faire ce que je devais faire. Je me cachais depuis tellement longtemps que ma carapace était devenue comme une seconde nature. Pourtant mon passé m'avait rattrapé et continuer à me cacher ne ferait que retarder l'inévitable. C'est donc avec des gestes lents et hésitants que je commençai à enlever ma veste devant les regards surpris et interrogatifs des deux inspecteurs. Worth, quant à lui, tendit sa main vers moi comme s'il voulait m'arrêter mais stoppa son geste à mi-parcours devant mon petit signe de tête résigné.

Je laissai tomber le vêtement au sol, indifférente au tissu hors de prix qui chuta dans un bruissement soyeux sur le lino usé. Insensible aux deux hommes présents dans la pièce, je déboutonnai les trois premiers boutons de mon chemisier et laissai glisser la soie bleue sur le côté, dévoilant mon épaule gauche et surtout le réseau de fines cicatrices qui s'y mêlait avec en leur centre le même symbole imbriqué que sur la photo. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant