Chapitre 36-1

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La réponse allant de soi, nous ne prîmes même pas la peine de répondre et après que Worth m'eut aidé à m'extirper du lit d'appoint dans lequel je me trouvais, nous suivîmes Jude. Une puissante lampe torche à la main, il nous entraîna vers le fond de la petite caverne faiblement éclairée de deux lampes sur batteries. Le passage que nous empruntâmes était étroit et sombre. Je sentis la panique revenir à la charge, tandis que je frissonnais dans l'air frais et humide. Gabriel passa l'un de ses bras sur mes épaules et m'attira contre lui.

— Ce n'est pas long, ne vous inquiétez-pas, nous rassura Jude. Ce passage est un peu anxiogène la première fois, mais c'est le seul accès au refuge et donc une défense naturelle imparable et facilement défendable.

Mon angoisse aurait dû se dissiper à l'entente de ces explications logiques et rassurantes mais il n'en fut rien. Malgré la fraicheur, une sueur poisseuse commença à couler dans mon dos et je tentai de réprimer les vagues de paniques inutiles qui m'assaillaient. J'étais en train de perdre la bataille, malgré le soutient silencieux de Gabriel, lorsqu'une lueur apparut au loin, s'intensifiant à mesure que nous avancions.

Nous débouchâmes enfin en plein air, dans la clarté pure et diffuse de l'aube. Un bruit d'eau ténu, bien que parfaitement audible, résonnait sur les falaises ceignant la dépression naturelle où nous nous trouvions. L'endroit était magnifique et immense, bien que la foule d'hommes et de femmes stressés et hagards qui s'y pressaient en tout sens, le fasse paraître surchargé. Des escaliers et des échelles en bois, pratiques et rudimentaires, permettaient d'accéder aux cavités naturelles des parois rocheuses. Malgré le côté pratique et défensif évident de l'endroit, le style des rampes d'escaliers et des torches disséminées le long des chemins de terres et de graviers, rappelait sans aucun doute la cité sylvestre du clan de Jude.

Malgré toutes mes bonnes résolution, un frisson me parcourut, se transformant aussitôt en un tremblement, bref mais incontrôlable, lorsque le père de Jude apparut. C'était un homme grand et svelte qui partageait avec son fils, ses cheveux noirs et ses yeux sombres, mais la ressemblance s'arrêtait là. Je sentis la main de Gabriel se crisper sur mon bras, lorsque père et fils s'enlacèrent brièvement. J'avais beau savoir que l'homme froid, distant et totalement indifférent à nos tourments qu'il était il y a un an n'existait plus, le pouvoir qui le tenait sous son emprise ayant été contré, je ne pouvais me départir d'une certaine méfiance instinctive.

— Merci de nous avoir prévenu, fils.

— Merci de nous avoir accueilli, lui répondit aussitôt Jude sur le même ton un peu guindé.

Sentant la gêne palpable, le père de Jude se contenta d'un bref hochement de tête à notre attention, puis s'empressa de retourner à ses occupations.

— Ils n'étaient pas au courant ? demanda Worth.

— Non. Notre clan à toujours vécu un peu coupé du monde, c'est d'ailleurs l'une des nombreuses raisons qui m'avaient incité à partir et à couper les ponts, nous expliqua Jude en nous guidant vers l'escalier le plus proche.

Tandis que nous le suivions, mille questions se bousculaient dans ma tête. Que s'était-il passé durant mon inconscience ? Combien de temps avait-elle durée et comment avions-nous atterrit ici ? Maintenant que le choc et la crise étaient derrière moi, je me sentais perdu et... incomplète, j'avais besoin de savoir. Mes oreilles bourdonnaient, le bruit et l'agitation ambiante saturait mes sens, si bien que j'abandonnai l'idée de demander à Worth et me contentai de suivre Jude. Nous traversâmes plusieurs galeries, heureusement ouvertes sur l'extérieur ce qui ne réactiva pas ma claustrophobie toute neuve. Je retins légèrement mon souffle lorsque nous pénétrâmes pour de bon sous la falaise, mais ce qui nous y attendait était suffisamment spectaculaire pour me faire oublier les tonnes de roches pesant sur nos tête.

Du bois blond, ciré et patiné recouvraient les murs de pierres, luisant doucement sous l'éclairage doux et tamisé des lanternes ouvragées, tombant du plafond naturellement vouté. Du sable blond recouvrait le sol d'une petite antichambre ouvrant sur trois portes.

— La votre, c'est celle de gauche, nous dit Jude en tournant la poignée. Désolée pour la promiscuité forcée, mais c'était la dernière chambre de disponible. Sinon, c'était un dortoir.

— Ce sera parfait, ne t'inquiète pas, lui répondit Worth. Du moment que l'on peut se poser et dormir un peu, le reste n'a pas d'importance.

— Amen ! lui répondit Jude en s'effaçant pour nous laisser passer. Reposez-vous et on se retrouve plus tard.

Ne cherchant même pas à savoir ce que ses paroles impliquaient, je me contentai de franchir le seuil. La chambre était simple et fonctionnelle, meublée en tout et pour tout d'un lit double, d'une table de nuit et d'un vieux rocking-chair. Un tableau représentant la mer, recouvrait une grande partie du mur du fond, rendant la pièce plus clair et chaleureuse. Stressée et épuisée, je me laissai tomber sur le lit, tandis que Gabriel fermait la porte.

— Tu veux prendre ta douche en premier ? me demanda-t-il en désignant la seule autre porte de la petite pièce d'un signe de tête.

— Avant, explique-moi ce que j'ai manqué.

Je le vis déglutir avec difficulté tandis que ses yeux fuyaient soudainement les miens.

— Lorsque les secours nous ont trouvé, après l'explosion, Monroe et toi étiez inconscientes. Le temps qu'ils nous sortent de cet enfer, le commissaire n'était plus aux commandes et l'armée avait reprit la main. Ils... ils t'ont mis en joue dès qu'ils t'ont aperçu et...

Je le vis s'affaisser comme au ralentis, le long du battant de bois. Ses mains tremblaient et son regard hanté fixaient le vide.

— Et quoi ? lui demandai-je doucement en me relevant pour m'approcher de lui.

— Et... j'ai disjoncté ! me répondit-il dans un souffle épouvanté. Je... dès qu'ils t'ont touché, je n'ai pas pu me contrôler. J'ai... j'ai tué tout le monde ! s'écria-t-il en se mettant à trembler de plus belle tandis que des larmes roulaient sur ses joues.

Bouleversée, je voulus prendre ses mains dans les miennes, mais il se déroba.

— Je ne pouvais pas m'arrêter. Le feu, les cris, l'odeur de chair brulée... je ne parviens pas à les sortir de mon esprit. L'odeur me colle à la peau...

— Gabriel, tu n'as fait que te défendre, que nous défendre, lui dis-je avec ferveur, le forçant à me regarder. Tu n'as rien à te reprocher.

— Si Jude n'était pas arrivé... s'il n'avait pas contrer mon pouvoir avec le sien... j'aurais pu te tuer.

— Mais ce n'est pas arrivé ! Monroe est vivante, je suis vivante, et toi aussi. C'est tout ce qui importe. Tu vas apprendre à te maitriser, on fera tout pour. Mais en attendant, tu as besoin d'une bonne douche, lui dis-je en l'attirant à moi tandis que je me relevais.

Toujours tremblant et hagard, me couvant d'un regard désespéré, il me laissa faire sans résister. La salle d'eau, à l'instar de la chambre était petite, mais bien agencée. Je tournai le mitigeur et lorsque de la vapeur commença à s'élever du bac de douche, j'attirai Worth sous le jet brulant. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Where stories live. Discover now