AOÛT - CHAPITRE SEPT

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Judi triturait ses ongles rongés en expirant bruyamment. Il en avait marre d'attendre. Le bruit des jouets en plastique, s'entrechoquant dans les mains du gamin au crâne rasé, le crispait. L'odeur de désinfectant, qui masquait les effluves de peur et de mort, lui donnait des hauts-le-cœur. Et cette effervescence de blouses blanches qui s'agitaient dans les couloirs lui procurait la sensation illusoire que tout était en train de tourner autour de lui.

Sa mère, qui se tenait à ses côtés, assise les jambes croisées, habillée d'un tailleur bleu marine et des talons de la même couleur, pianotait sur son téléphone. Il était content qu'elle soit venu avec lui finalement. Malgré des protestations enragées, il se sentait plus rassuré de savoir que cette fois-ci il n'aurait pas à faire du stop s'il ratait le bus.

« J'espère qu'on aura une bonne nouvelle cette fois », avait-elle dit en entrant dans l'enceinte de l'hôpital.

Judi n'en espérait pas autant. Cela faisait longtemps qu'il avait cessé d'espérer quelque chose qu'il ne voulait pas. Ce rendez-vous, comme tous les autres qu'il avait eut précédemment, ne serait qu'un bilan du dernier mois passé. Le docteur James allait lui poser exactement les mêmes questions, auxquelles Judi allait répondre exactement les mêmes réponses. Pourtant, cette fois-ci il avait quelque chose à raconter à son psychologue.

« J'ai rencontré quelqu'un, a-t-il répondu lorsque le docteur lui demandait comment allait Jean et Seb. C'est une fille. »

Il ne chercha pas à en savoir plus sur cette dernière, à la grande frustration de Jordan qui lui n'avait envie de parler que d'elle.

« Comment se sont manifestées les crises de violences dernièrement ? » demanda James à la mère de Judi.

Elle parut réfléchir un instant, puis dans le regret de pouvoir donner une réponse, elle secoua négativement la tête. Judi n'avait pas été violent dernièrement.

Le regard du docteur s'éclaira, il s'intéressa enfin à cette dernière rencontre. 

« Elle s'appelle Créa, répondit Judi aux interrogations du médecin.

— Créa ? répéta ce dernier.

— Crépuscule. Créa c'est un diminutif. Comme moi, elle n'aime pas son vrai nom. »

Judi sentit qu'on doutait de lui. Il sortit alors son téléphone pour montrer une photo d'elle et de lui. C'était un selfie flou et sombre, mais on distinguait son sourire éclatant et les cheveux châtains de la jeune fille.

« Il n'y a pas longtemps, on est allé à une fête médiévale ensemble », articula le garçon, sans croiser le regard de sa mère.

Le docteur analysa le visage de Judi sur l'image qu'il lui montrait. Il remarqua ses yeux brillants, plissés sous le poids de la joie. Il ne put ignorer la proximité des deux corps se frôlant au niveau des épaules. Il scruta le décor de fond, un paysage sombre dont rien d'amusant ne ressortait. Ils étaient seuls dans cette obscurité et, pourtant, c'était la première fois qu'il voyait son patient sourire ainsi. Cette fille était en train de le guérir, et beaucoup mieux que toutes les thérapies qu'il aurait pu lui prescrire.

« Comment l'as-tu rencontrée ?

— Après notre dernière séance, s'exclama Judi. Je faisais du stop et elle s'est arrêtée pour me prendre.

— Tu sais que c'est dangereux de monter dans la voiture d'inconnus, n'est ce pas ? Elle est au lycée, cette Créa ? demanda le psychiatre.

— Non, monsieur, plus maintenant. Elle va partir faire des études, bientôt.

— Et toi, tu aimerais faire des études comme elle ? »

Judi ne savait pas trop, il n'y avait pas réfléchi ou avait refusé de le faire. Il haussa donc les épaules.

« Si elle a réussi à le faire, te sens-tu capable de le faire aussi ?

— Faire quoi, monsieur ?

— Aller au lycée. »

Judi comprit où il voulait en venir. Sa mémoire se perdit dans les méandres de ses années à l'école primaire. Les cris aigus, les coups, les pleurs, la douleur. Ils couraient partout autour de lui. Leurs gestes étaient brutaux, leurs paroles lacéraient son esprit, leurs caprices l'empêchaient de s'endormir.

« Tu te sens prêt ? »

Soudain, l'image d'une brune fougueuse et plein de grâce se matérialisa dans sa conscience. Parmi les plaintes lancinantes du passé, la couleur jaune des couloirs du lycée l'apaisait. Le souffle rapide de Créa brisant le silence de la cafétéria, résonnait encore dans ses tympans. Le toucher humide du terrain de football l'enveloppait d'une atmosphère paisible, d'un calme indescriptible. Une aura bienveillante s'échappait de ses souvenirs et, il se surprit à sourire en pensant à ce lieu auquel la jeune fille était autant attaché.

Il avait peut-être raison, ce docteur James. Peut-être que Créa était la main qui allait le pousser du haut du plongeoir pour lui apprendre à nager.

Il acquiesça alors, sentant qu'un équilibre venait d'être bousculé.

« Tu seras autorisé à retourner dans un système scolaire classique, dès septembre. »

Sa mère cria de joie, le médecin afficha un sourire satisfait et Judi pensa à Créa. Il ne restait plus que quelque semaines avant que l'été ne tire sa révérence. Le temps lui manquait. Il aurait aimé le retenir et retenir la jeune fille, par la même occasion. Mais elle allait partir, et lui aussi s'envolait vers l'inconnu.

« Le lycée t'attend, Judi. »

Elle sera fière de lui, lorsqu'il lui annoncera.


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Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant