CHAPITRE HUIT ET DEMI

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La télévision avait continué de fonctionner tout ce temps. De la porte entrouverte, que Jean avait oublié de fermer, on entendait des murmures hurlants remplir l'atmosphère et une musique grisante démunie de sens. Chaque son s'unissait en un seul, créant cacophonie et brouillard.

Un bruit, plus fort encore que le grésillement du poste, résonna soudain dans le couloir. Un claquement rapide qui faisait trembler les murs, le cri rauque d'un garçon et la peinte lancinante des sanglots. Jean se leva pour verrouiller la porte d'entrée et faire taire l'écho d'affliction qui imprégnait déjà tout le palier.

« Ça recommence », soupira-t-il.

Et il monta le volume du téléviseur.

**

La tempête cessa de se tortiller entre les murs. Jean s'était endormi sur le canapé. Il n'avait pas entendu Seb rentrer. La nuit était tombée et il se sentait désorienté. Il marcha sur la télécommande, en se levant et changea de chaîne. Il râla, puis la ramassa pour tout éteindre. L'appartement devint silencieux et la migraine du garçon disparut.

Il arrangea ses vêtements, attrapa ses cigarettes et sortit dans le couloir. De la boue collait à ses semelles et tâchait le sol immaculé. Il se passa une main dans les cheveux pour les plaquer en arrière, avant de toquer chez Judi. Un homme brun et grand vint ouvrir. Il semblait fatigué et mal en point, malgré ses gros muscles. Du sparadrap bandait des plaies sur l'un de ses bras et sous ses yeux, des cernes s'étaient creusés.

« Désolé, Jean. Il est privé de sortie, annonça le père de Judi en le voyant. Bonne soirée », abrégea-t-il.

Jean resta un instant sur le paillasson, mal réveillé, clignant plusieurs fois des yeux, avant de comprendre ce qu'on venait de lui claquer la porte au nez. Il repartit bredouille et s'avachit à nouveau devant son téléviseur. Une désagréable sensation de chatouillement l'empêcha de trouver une bonne position, jusqu'à qu'il se rende compte qu'il écrasait son paquet de tabac.

Il arriva à l'attraper en se contorsionnant un peu et grimaça à la vue du carton aplati. Par chance, le papier roulé n'avait pas été trop touché. Il en attrapa une et se dirigea vers sa chambre, au cas où ses parents rentreraient plus tôt. Le plexiglass de la vitre tenait à peine sur les joues de la fenêtre, obligeant Jean à faire attention en l'ouvrant.

« Tu vas encore fumer ? l'interrogea une petite voix, provenant du lit superposé.

— Oui, Félix, pince-toi le nez. »

Une petite tête blonde apparut entre les rambardes en bois du matelas le plus haut. Des taches d'encres et de feutres rouges coloraient sa peau à certains endroits.

Jean chercha son briquet entre les draps de sa couchette, puis ferma la porte de leur chambre à clé.

« Tu fais tes devoirs ? demanda-t-il en inhalant la première bouffée de fumée blanche.

— Non, c'est les vacances. Je n'ai pas de devoirs.

— Tu fais quoi alors ?

— Je dessine. Regarde, Jean. »

Le petit lui tendait un dessin de maison, dont seuls les contours apparaissaient en une couleur ocre. Devant celle-ci, un grand bonhomme et deux petits se tenaient la main. Le soleil brillait, des oiseaux volaient dans le ciel et des bouées en forme de donut flottaient dans une piscine.

« C'est notre famille, expliqua le plus jeune.

— Et maman, elle est où ?

— Dans la piscine. Elle bronze. »

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant