CHAPITRE TRENTE ET UN

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Les alentours du lac étaient calmes en cet après-midi. La météo avait été clémente et les températures commençaient déjà à augmenter. Une légère brise balaya les cheveux de Créa et la fit relever le nez de son ordinateur. Elle huma les effluves printaniers qui la berçaient de leur nectar sucré puis, elle se replongea dans ses révisions.

Elle n'arrivait pas à réaliser que sa première année de philosophie était sur le point de s'achever. Le début du mois d'avril s'était écoulé si vite et il ne lui restait plus que quelque semaines avant les examens. Elle travaillait d'arrache-pied pour se remettre à niveau et sauver son année.

Comme aujourd'hui, elle prenait souvent ses cahiers et son ordinateur, se posait dans sa chambre ou dans un lieu calme, et elle parcourait du regard les différents diaporamas sur le site de l'université.

Seulement, depuis quelques temps, une angoisse qu'elle connaissait déjà abondamment et pensait disparue, revenait lui broyer l'estomac. Elle n'était pas retournée à la faculté depuis décembre et y remettre les pieds lui semblait être une épreuve encore plus complexe que les partiels.

Alors qu'elle scrutait les environs, appréhendant de croiser un visage familier, elle aperçut un petit groupe de lycéens chargés de sacs de supermarché. Ils s'installaient sur la rive en face d'elle, munis d'une bâche verdâtre et de cailloux pour empêcher le vent de la soulever.

Créa reconnut quelques visages, qui avaient bien grandi. Dans ses souvenirs, ils étaient tous en première scientifique alors qu'elle bataillait avec sa dernière année de lycée. Ils devaient désormais tous être en terminale et commencer les révisons du baccalauréat.

Elle soupira en visualisant l'époque où, elle aussi, riait insoucieuse de son avenir. Elle n'aurait jamais imaginé se retrouver aussi seule dans son propre patelin natal. La grande ville ne lui faisait plus peur, à présent c'était le monde tout entier qui lui semblait étrange.

Elle commençait à croire que la résistance aux autres, propre à Judi, déteignait sur elle. Elle savait que le garçon avait du mal à se socialiser et elle se demandait encore pourquoi il s'était senti si proche d'elle, au point d'oser l'embrasser. Sa réputation, bien qu'elle l'ait passé sous silence pendant un long moment, le poursuivait avec acharnement. La violence de ses gestes la dernière fois qu'elle l'eut vu, autrefois si doux et rares, n'en démordait pas. Judi avait un problème, un problème qui resterait sans nom. Pourtant, cela ne suffisait pas à obstruer ses sentiments.

Tandis qu'elle rassemblait ses affaires pour rentrer chez elle, Créa se rendit compte qu'une petite brune du groupe de lycéens se diriger en sa direction. Elle n'était pas certaine qu'elle venait pour elle. Il y avait une sorte de paillote qui faisait bar non loin, peut-être qu'elle s'y rendait. Alors, elle attendit quelques instants. Sans surprise, la jeune fille ralentit devant elle et se mit à la fixer.

« Excuse-moi, commença-t-elle d'une voie crispée. Tu es Crépuscule ?

— Créa, oui.

— Je suis une amie de Judi. On s'est croisé à la fête d'hiver. »

Créa s'était relevée et faisait maintenant face à celle qu'elle supposait être Romane. Elle acquiesça sans broncher, la toisant froidement. Elle n'avait pas particulièrement envie de discuter de Judi pour le moment.

« Je te reconnais, affirma-t-elle, mais je vais devoir y aller.

— Je veux simplement te poser une question », insista Romane.

Son sac sur l'épaule, son écharpe pendant autour du cou, Créa était prête à tourner les talons. Mais l'air désemparé de la jeune fille lui fit pitié.

« Je t'écoute, soupira-t-elle.

— Est-ce que les fous sont capables d'aimer ? »

Créa fronça les sourcils. Ses paupières s'abattirent avec lourdeur sur ses yeux et son cou commençait à lui démanger à cause de la laine. Elle sentait les muscles de son visage se tendre et se détendre, tandis qu'une expression de surprise se dessinait sur ses traits.

« Pourquoi, bégaya-t-elle, pourquoi tu me demandes ça ?

— Pour Judi ! s'exclama Romane. Est-ce tu crois qu'il est capable d'aimer ? Ça m'aiderait beaucoup d'avoir ton avis, car je crois qu'il fait une fixation sur ton prénom. J'ai cru, à un moment, qu'il était amoureux de toi. C'est pour cela que je l'ai quitté. Puis, j'ai réalisé qu'il était un peu fou, dit-elle en haussant les épaules.

— Sur mon prénom ? répéta Créa incrédule. Mais Judi n'est pas fou. »

Romane pouffa faiblement, couvrant son sourire narquois d'une main.

« Oh si, il l'est. Il n'est pas normal en tout cas. Il demande toujours qu'elle sera sa note avant d'avoir fait le devoir. Il se balance sans arrêt sur sa chaise en cours. Il a même failli tomber une fois. Il se cache sous la table dès qu'un professeur hausse le ton. Il garde des sachets de sel à l'intérieur de sa trousse. Il ne regarde jamais personne directement dans les yeux, lorsqu'il lui parle. Il frappe ceux qui veulent le toucher, excepté moi. Je crois que c'est parce qu'on se ressemble un peu. Il accepte que tu le touches ?

— Parfois, bredouilla Créa.

— On ne peut pas nier qu'il soit bizarre quand même. »

L'orage commençait à gronder en le fort intérieur de Créa. Elle n'en revenait pas de l'aisance de la jeune fille à traiter Judi comme un dégénéré mental. Judi était bizarre, c'est vrai. Mais il suffisait de creuser un peu pour y trouver un être sensible, un peu brouillon et très attachant. Judi n'aurait pas retenu son attention s'il avait été normal. 

Pourtant, en détaillant l'expression de Romane, Créa sentait de la sincérité. Elle était vraiment effrayée par Judi. 

« J'en ai assez entendu. Il faut que j'y aille. »

Elle resserra sa poigne sur son sac et traversa les quelques mètres de pelouse qui la séparait de la route. 


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Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant