CHAPITRE TRENTE DEUX

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    Encore ces incessants talons qui claquaient, cette jupe crayon et ce parfum de désinfectant. Judi suivait, silencieux, sa mère dans l'établissement vide. Certaines salles de classe étaient déjà complètement plongées dans l'obscurité, les stores baissés, les chaises remontées sur les tables. Une ambiance sombre imprégnait, doucement, les lieux qui d'ordinaire s'animaient de rires et de soupirs.

  Ils s'arrêtèrent devant une porte. Un chiffre entier trônait au-dessus de l'encadrement, mais Judi ne le remarqua qu'après avoir croisé le regard de sa professeure de mathématiques. La bonne femme portait une robe fleurie qui dévoilait ses petites jambes potelées. Son maquillage n'était plus aussi frais qu'à l'accoutumée, marqué par la fatigue de la journée. Elle les attendait devant son grand tableau à craies.

  « Bonsoir », les accueillit-elle dans une poignée de main ferme, qui en décrocha presque à Judi une grimace.

  Ils s'installèrent à son bureau, chacun sur une chaise un peu bancale. Les pieds en ferraille n'atteignaient pas la même hauteur et le garçon s'amusait à se balancer sur la sienne d'un côté puis de l'autre.

  « J'aimerais faire un point avec vous sur la scolarité de Jordan », commença la professeure avec un sourire bienveillant, ignorant la gêne occasionnée par le claquement sec sur le carrelage.

  Sa mère acquiesçait, nerveuse. Elle n'avait plus l'habitude des regards extérieurs qui jugeaient son fils. Seul celui du docteur James lui importait depuis des années.

  « J'ai eu un retour de la part de ses professeurs du lycée et l'ensemble, plutôt optimiste auparavant, commence à s'inquiéter, s'exclama-t-elle en marquant une pause. Nous savons que Jordan a des capacités. Il en a même peut-être plus que la moyenne. »

  Son air compatissant n'exprimait rien de bon, pourtant ses yeux ne se détachaient pas de la tête baissée du garçon. Elle voulait s'assurer qu'il l'écoutait.

  « Le problème, hésita-t-elle, c'est la baisse de motivation flagrante qui s'empare de lui depuis ces derniers mois. À chaque devoir, mes collègues se plaignent de copies blanches. Tout ce qu'on peut constater de son travail, ce sont les petits dessins qui ornent les marges. N'est-ce pas Jordan ? »

  Son ton s'était fait plus sévère, plus dur, mais l'intéressé continuait à se concentrer sur les mouvements de son siège.

  « Ce changement d'attitude, aussi soudain, est alarmant. Mes collègues commencent à perdre espoir. Il y a seulement en mathématiques où, sans surprise, Jordan excelle avec des vingts permanents.

  — Pourtant, protesta la mère de Judi, vous me disiez, en début d'année, que le remettre dans un cursus scolaire plus cadré lui était bénéfique. Il avait de très bons résultats, d'ailleurs.

  — Je ne crois pas que le lycée en lui-même soit le problème dans le cas de Jordan.

  — Judi. »

  Le garçon avait parlé d'une petite voix, mais son intervention ne passa pas inaperçue auprès des deux femmes. Tournées vers lui, elles fixaient la touffe brune qui leur faisait face, tandis que l'éclat de ses yeux ne leur parvenait toujours pas. Elles attendaient qu'il continue, qu'il s'exprime et s'explique, mais Judi semblait s'être replongé dans les méandres ensorcelants de son balancier.

  « Excuse-moi, sourit la professeure. Tu sais que je n'apprécie pas donner des surnoms à mes élèves. »

  Il secoua vaguement la tête et attendit qu'elles poursuivent le fil de leur discussion.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant