CHAPITRE VINGT TROIS ET DEMI

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« Qu'est-ce qu'il s'est passé, ensuite ? »

Créa était attablée à la petite table du salon, tandis que sa mère faisait chauffer de l'eau pour la tisane du soir. Encore emmitouflée dans son manteau, la jeune fille avait posé ses deux coudes devant elle et d'une main, elle soutenait sa tête lourde et fatiguée.

« Ils m'ont raconté comment ils s'étaient rencontrés. »

Sa voix était calme et son regard se perdait dans le vide. Elle n'avait pas le visage de quelqu'un qui venait de fondre en sanglots sur le trajet du retour. Elle semblait détachée, comme si le souvenir avait été lointain.

« Je suis certaine que ça ne changera rien à votre amitié », essaya de la rassurer sa mère.

Elle ne répondit pas. Au lieu de ça, elle partit d'un pas lent, presque las, vers sa chambre et en ressortit avec un petit paquet cartonné à la main. Le vent froid s'engouffra dans l'appartement, lorsqu'elle ouvrit la porte-fenêtre et pénétra sur le balcon.

Une légère couche de neige recouvrait la rambarde sur laquelle Créa venait de s'appuyer, la faisant jurer d'agacement. Elle attrapa une cigarette et la coinça à la commissure de ses lèvres. La forme circulaire qui roulait sur sa peau fine était apaisante. Elle s'amusa avec le petit papier qui maintenait le tabac, avant de l'allumer et de la laisser se consumer entre ses doigts tremblants.

Son visage s'était figé. Elle observait ce qui s'apparentait à des petits grains de sable qui s'étaient éparpillés sur les voitures en contrebas, comme si la tempête ne venait seulement de cesser. Cette nuit était obscure, mais le vent faisait virevolter la fine poudre blanche qui illuminait les contrastes. Les éclats de la lune s'étaient dérobés sous un amas de nuage, duquel quelques rayons glissaient passivement sur le visage de la jeune fille. Des flocons se coincèrent entre ses mèches brunes. L'un d'eux se mêla aux battements de ses cils, embuant sa vue déjà floue.

La fumée chatouillait sa gorge et s'immisçait jusque dans ses poumons. Tout était en mouvement autour de Créa, pourtant, provenait d'elle seule la lueur grisâtre qui s'échappait de ses lèvres immobiles. Elle restait de marbre dans ce paysage aussi sombre que son humeur.

Dans un soupir, sa mère referma derrière elle, avant que l'odeur n'envahisse le salon.

*

Aveuglée par la lumière du jour, Créa se réveilla difficilement. Les ressorts du canapé couinèrent  lorsqu'elle releva son buste. Son cou et sa tête la faisaient souffrir. Elle retira d'un geste rapide la couverture qui l'étouffait, alors qu'un son sourd parcourut en écho tous les cernes de la table en bois du salon. Elle attrapa le petit téléphone qui venait de vibrer, en baillant bruyamment par la même occasion. Sa mère émergea de la cuisine, apprêtée de sa tenue de travail, un bout de pain à la main.

« Tu iras nous chercher du lait, aujourd'hui ? » demanda-t-elle en l'embrassant sur le front.

La jeune fille grogna, encore de mauvaise humeur, avant d'acquiescer sous le regard menaçant qui la fusillait depuis l'entrée.

« À ce soir, Créa. »

Le vent fit claquer la porte un peu trop fort. Elle rassembla son manteau et ses chaussures, avant de se diriger vers sa chambre pour s'écrouler sur son lit, beaucoup plus confortable que le matelas du sofa. Elle recouvrit son corps, encore tout habillé, d'un drap fleuri et ferma les yeux. Elle n'avait plus envie de dormir mais, elle était fatiguée de la soirée d'hier. Pourtant, elle les rouvrit rapidement lorsque son portable se remit à sonner. Elle le tenait toujours fermement dans sa main et ne mit pas longtemps avant de répondre.

« Créa ? »

Elle reconnut la voix grave d'Octave, mais elle ne savait pas si elle devait soupirer ou se réjouir de son appel.

« Je suis désolé, c'est Grégoire qui m'a donné ton numéro. »

Un bref raclement de gorge lui indiqua qu'elle l'écoutait.

« On n'a pas trop eu de nouvelle de toi ces derniers temps, commença-t-il. Je voulais savoir comment tu allais depuis le nouvel an. Grégoire refuse de me raconter quoi que ce soit. Il n'arrête pas de répéter qu'il n'y a rien à dire.

— Quelques hématomes, mais rien de grave, le rassura-t-elle. Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de te remercier de m'avoir sortie de là ; je suis partie précipitamment. Alors, hésita-t-elle avant de reprendre d'une voix sincère, merci. »

Elle l'entendit sourire, tandis qu'au loin la circulation jouait son éternelle symphonie du matin.

« Ah, Créa, soupira-t-il, ma belle Créa. La jolie brune mystérieuse qui nous fait tous craquer. D'ailleurs, s'exclama-t-il en changeant soudainement de sujet, j'ai eu mon premier semestre.

— Les notes sont en ligne ? »

La jeune fille s'était relevée brusquement. Les palpitations de son cœur s'intensifièrent, lorsqu'elle abandonna Octave à son monologue et qu'elle pianota sur le petit écran pour accéder au site internet. Alors que le chargement des pages s'effectuait, elle l'entendait encore parler au bout du fil.

« J'y suis. »

Une liste de numéros s'était affichée devant elle. Les résultats l'attendaient. Une vague d'excitation et d'appréhension la parcourut, tandis qu'elle cherchait la combinaison de chiffres qui correspondait à son nom. Un sept attrapa son regard.

« Sept », murmura-t-elle assez fort pour qu'Octave l'entende.

Sans prendre garde, elle laissa le téléphone tomber sur le sol. Ses draps se plissèrent, se froissèrent à son contact, lorsqu'elle les agrippa pour étouffer un cri sourd. Un sept ne suffisait pas pour valider ce semestre. Qu'avait-elle espéré ?


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Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant