CHAPITRE VINGT SEPT ET DEMI

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Il revint, deux assiettes en main garnies d'une nourriture qui semblait délicieuse. Créa le regardait de ses yeux de lynx, le maudissant mentalement de lui avoir provoqué une panique affreuse.

« Tu aurais pu prévenir, s'égosilla-t-elle.

— Je l'ai fait », dit-il en engloutissant une saucisse.

Il reprit sa place aux côtés de la jeune fille, alors qu'une lampe torche posée à terre éclairait faiblement son visage. Il sentait le sol dur et rugueux sous ses fesses, son sac de couchage n'étant pas assez rembourré. Sa position était inconfortable. Il se retourna sur lui-même un bon moment, avant d'en trouver une à peu près supportable.

Il farfouilla, ensuite, dans son gros fourre-tout, avant d'en ressortir un couteau, le même qu'il avait apporté au lac quelques jours plus tôt, toujours emballé dans un linge sali. Il se mit alors à couper en de fins carrés chaque aliment qui trônait dans sa nourriture.

Créa trifouillait, silencieuse, dans son plat, triant les haricots d'un côté et la viande de l'autre. Elle se sentait bien dans ce petit endroit, loin du cachet habituel du lac. L'odeur de renfermé et d'humidité ne l'empêchait pas d'apprécier le moment.

« Une nuit, j'ai rêvé que tu étais un astronaute, errant dans l'espace. Tu avais abandonné ton vaisseau. Tu étais perdue dans le néant, le souffle court, avec l'impression d'étouffer. Mais tu étais heureuse, car tu savais que tu allais mourir sous les étoiles. Exactement, là où est supposée être ta place.

— Je m'imaginais mourir différemment », lâcha-t-elle instinctivement et involontairement, encore sur la défensive.

Elle se reprit avec plus de tact, se rappelant pourquoi elle était ici. Judi était son seul ami, elle ne pouvait pas se permettre de le laisser tomber, lui aussi.

« Tu as raison, je suis moi-même lorsque l'ambiance s'assombrit, que les bruits de la ville deviennent flous et qu'un vent frais balaie les roseaux. Tu m'as quasiment toujours connu la nuit tombée, alors que je ne pense plus à qui je devrais être, sourit-elle. Je comprends pourquoi tu dis ça. »

Judi ne l'écoutait plus vraiment. Il avait aperçu ce petit amas de peau foncée qui surplombait la poitrine de Créa, masquée par un gros pull. Le col lui tombant assez bas sur les épaules, il révélait ce grain de beauté qui l'avait tant fasciné et qui l'obnubilait toujours autant. Cette minuscule imperfection contrastait avec le beige rosé qui l'entourait, elle sublimait le grain poudré de sa peau, rendant ce tableau presque irréel.

La nuit masquait l'évolution des nuages devenus de plus en plus grisâtres, ne dévoilant son jeu que par le grondement soudain du tonnerre.

Judi avait rabattu la capuche de son sweat et replié ses jambes sur lui-même. Il n'écoutait définitivement plus la jeune fille parler. Les yeux désormais rivés vers le ciel, il se balançait d'avant en arrière, le regard affolé.

Alors qu'elle s'apprêtait à le remercier de lui avoir donné une seconde chance, elle s'aperçut des mouvements étranges du garçon. Elle ne voyait plus son visage, seulement les allers et retours de son corps. Elle approcha sa main, inquiète, et la posa sur son épaule. Il tremblait. Ce geste sembla l'apaiser, un instant. Son corps s'était raidi, ses muscles étaient tendus, le visage crispé par la terreur.

Le sourd bruit du tonnerre raisonna encore à l'extérieur et l'angoisse de Judi empira.

« Boum, chuchotait-il. Boum. »

Des gouttes commencèrent à tomber des feuilles du saule et à marteler le béton à l'entrée du garage. L'odeur de l'asphalte mouillé se répandait dans les environs, enivrant tous les sens de Créa. Elle aimait cette sensation, mais contempler l'eau perler n'était pas sa priorité cette fois-ci.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant