CHAPITRE CINQ ET DEMI

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  Le buste de Créa se releva péniblement de l'herbe cramée, quand elle entendit son téléphone vibrer. Judi était toujours à ses côtés. Il somnolait en silence. Elle agrippa le petit objet, qui avait été laissé à l'abandon à ses pieds, et lut le message de sa mère.

  « Ton père vient d'arriver, il t'attend avant d'aller à l'hôtel. »

  Un large sourire s'épanouit sur le visage de la jeune fille. Elle ramassa son livre et son sac à main, contempla un moment les yeux clos du garçon et s'attarda sur ses longs cils. Elle voyait la courbe de ses pupilles jouait de droite à gauche sous ses paupières. Il semblait rêver. Elle entendait sa respiration briser l'air, pour venir s'y mélanger comme un seul souffle.

  D'un geste délicat, elle secoua son bras puis, ses épaules. Un rictus se dessina sur les lèvres de Judi, tandis que ses paupières restaient fermées.

  « Allez, gros fainéant. Je dois partir », souffla-t-elle.

  Il poussa un grognement, avant d'attraper son bras et de l'emprisonner contre son torse. Les effluves sucrés de la jeune fille s'entremêlaient à l'odeur vaseuse du lac. Il sentait la chaleur de sa peau contre son t-shirt. Les battements de son cœur s'éternisèrent dans ce moment paisible.

  « Judi ? »

  Le répit était fini.

  Il se remit sur ses deux pieds et, ensemble, ils s'aventurèrent dans les sombres sentiers menant à la ville. La faible lumière de leurs téléphones éclairait à peine devant eux, mais ils connaissaient la route. Chaque coin d'arbre, chaque pierre et chaque racine se dressant sur leur chemin étaient des repères géographiques.

  Ils préféraient passer par les bois, que sur la route. C'était moins dangereux la nuit, que de s'aventurer dans les virages serrés, où une voiture pouvait surgir à tout moment.

  Ils contournèrent un poteau électrique, signe qu'ils étaient bientôt arrivés à la civilisation et se séparèrent d'une bise rapide, lorsque le béton prit le dessus sur la terre sableuse.

  Créa se dirigea à droite, Judi à gauche. Elle marchait vite, sous cet éclairage public qui jouait avec les ombres des maisons. La nuit était silencieuse. Elle voyait, à travers les fenêtres, des télévisions allumées et des silhouettes avachies sur leurs canapés. Ils regardaient tous la même chaîne, diffusant un concert de variété française. Elle sourit. Ils se croyaient tellement différents qu'ils se parquaient entre quatre murs, mais ils ne doutaient pas que leur voisin faisait exactement les mêmes activités qu'eux.

Cependant, une des maisons du quartier ne semblait pas aussi calme que les autres. Créa entendait déjà la sono et les cris.

  Au coin de la rue, une belle villa moderne se dressait du haut de ses deux étages. Un grand jardin l'entourait, bordé d'une barrière en bois blanc. La pelouse était infestée d'adolescents à la dérive, des bouteilles de bière dans les mains.

  Créa reconnût cette façade. Elle se souvenait avoir déposé plusieurs fois une amie du lycée ici. Elle vit aussi quelques visages, dans le petit nombre d'invités, qui ne lui étaient pas étrangers.

  Elle baissa la tête et accéléra le pas, sur le trottoir d'en face.

  « Créa ! », la héla-t-on.

  Elle fut forcée de s'arrêter et d'afficher un grand sourire au malheureux qui venait de gâcher toutes ses chances de passer inaperçue. C'était son ancienne amie, Lutine et, en l'occurrence, la propriétaire des lieux.

  Elle traversa la route, pour venir se planter devant Créa, un sourire sincère sur les lèvres. Ses longs cheveux blond foncé étaient réunis dans un chignon décoiffé. Elle portait une robe colorée, qui épousait ses formes et volait au vent. Créa sentait son parfum de luxe embaumer l'air ambiant.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant