AOÛT - EPILOGUE

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L'été touchait à sa fin.

Les lycéens se préparaient pour la rentrée. Les quelques vacanciers étaient repartis chez eux. Les marchands de glaces fermaient leurs portes, prêts pour la saison suivante.

Créa avait déjà emballé ses affaires. Cette nouvelle année s'annonçait plus joyeuse que la précédente avec Octave comme colocataire. Elle imaginait déjà tous les fous rires qui les attendaient à des heures bien trop tardives. Aussi, elle avait hâte de rencontrer le fameux prince charmant qui semblait avoir volé le cœur de son ami. Ces temps-ci, il ne se passait pas une discussion téléphonique sans que le sujet soit abordé. Octave semblait accro.

Lorsqu'il avait dévoilé son homosexualité à ses parents, ces derniers s'étaient mis à rire. Pas un rire moqueur, pas un rire nerveux. Ils riaient car ils savaient déjà. Octave n'avait pas été très discret lorsqu'il ramenait des garçons chez eux. Ça lui faisait quand même du bien que les choses soient enfin dites explicitement. Il avait remercié Créa en lui offrant le premier mois de loyer.

Une dizaine de cartons s'empilaient dans la voiture de la mère de la jeune brune. Ils en avaient fait du voyage ceux-là. Sans cesse baladés entre la grande ville et le patelin. Si tout se passait bien, ils prendraient la poussière pendant quelque temps.

Elle les contempla du haut de son balcon. Tout était prêt pour le départ, mais il restait à Créa une dernière chose à faire, une dernière personne à qui dire au revoir.

À côté de la voiture de sa mère, le cabriolet attendait, flamboyant sous le soleil couchant. 

Quand elle arriva chez Judi, un camion empli de meubles bloquait l'entrée à l'immeuble. Elle y vit les parents du garçon s'affairait dans tout ce bazar. Pour ne pas les déranger, elle appela Judi sur son portable.

« Je suis en bas.

— Je descends. »

Il apparut, les cheveux ébouriffés, la peau humide et le corps parfumé de son gel douche. Il retrouva sa place aux côtés de Créa. Le siège avait imprimé la forme de ses fesses. Il s'y enfonça à son aise.

« Non non ! s'exclama-t-elle en le repoussant hors du véhicule. Tu conduis.

— Je ne vais jamais arriver jusqu'au lac, s'horrifia-t-il.

— Exact, mais tu peux au moins sortir du lotissement. Je te fais confiance. »

Il s'assit devant le volant. Les rôles s'inversaient.

« On ne nous retrouvera jamais vivants, pesta-t-il.

— Si, mais sûrement au poste de police », ironisa Créa.

Il ne releva pas sa blague et se concentra sur le tableau de bord. Il fallait qu'il se rappelle comme cet engin démarre.

« En premier, la première. Le frein à main. Et enfin... »

Ils avancèrent par petits à-coups puis tout se stabilisa.

Ils sortirent vivants du lotissement sans croiser de policiers. Créa reprit le contrôle de la décapotable et ils décollèrent vers la forêt.

Le lac s'étendait devant eux. Ils restèrent suffisamment éloignés, mais assez proche pour sentir l'odeur de la vase.

« Prête pour notre dernier bain de lune ? demanda Judi.

— Prête. »

Ils avaient prévu d'attendre que la nuit tombe en ces lieux familiers. Elle ne devrait plus tarder vu les couleurs orangées dont se parait le ciel.

« J'espère qu'il y a aura des étoiles », déclara le garçon en grignotant une tartelette au citron.

Depuis qu'il y avait goûté, il harcelait Créa pour qu'elle lui en apporte à chaque leçon de conduite. Ironiquement, les petits gâteaux le motivaient plus que l'idée de passer du temps ensemble.

« Comme ça, je pourrais assister à un second crépuscule sous les étoiles. »

Le rire de Créa sonna joyeusement. Elle lui flanqua un coup dans les côtes, comme la dernière fois, avant de se pencher vers sa bouche. Judi avait appris à comprendre les signaux quand elle voulait l'embrasser. Elle attendait toujours qu'il lui donne le feu vert.

Ce geste restait encore plutôt rare dans leur relation, Créa ne tenait pas à le brusquer. Elle réservait les baisers pour les grandes occasions. Ce soir-là en était une. Et Judi aussi ressentait le besoin d'unir ses lèvres aux siennes.

Il n'hocha pas la tête, comme il avait pris l'habitude de le faire. Il se rapprocha à son tour et attendit que collision se fasse.

**

La lune brillait comme un soleil recouvert de givre. Elle éclairait d'une lueur blanche les moindres mouvements du lac. Des poissons vivaient sous ces eaux calmes. Lorsqu'ils remontaient à la surface de petites ondes parcouraient en cercle les quatre coins de la rive. Créa aimait beaucoup ce spectacle, presque autant que celui de Judi endormi sur ses genoux.

Sauf qu'elle avait oublié le principal. Elle avait oublié  la pochette en papier qui attendait dans la boîte à gants.

Elle réveilla Judi en voulant se lever.

« On part ?

— Pas encore. J'ai une surprise. »

Elle courut jusqu'à la voiture et revient avec les documents. Judi ne comprenait rien. Ni à ce qu'il avait marqué sur la liasse de papiers, ni pourquoi Créa lui tendait ses clés.

« Elles sont à toi. Elle est à toi, s'écria-t-elle excitée comme une enfant en montrant le cabriolet.

— Quoi ? Non non. Elle est à toi.

— Si, je te l'offre. Je n'en aurais plus besoin à la grande ville. Je prends tout le temps le métro ou le bus, se justifia-t-elle. Puis, dès que je trouve un boulot, je m'en offre une toute neuve. Si tu ne la prends pas, elle va partir à la décharge. Ce tas de ferraille ne mérite pas la casse, n'est-ce pas ? » 

Créa jouait de ses yeux doux pour le convaincre, mais l'idée de voir cette voiture réduite en morceaux acheva de décider Judi. 

« Qu'est-ce que Créa sans sa décapotable rouge ? songeât-il nostalgique. 

— Juste Créa. » 

Elle ressemblait vraiment à une petite fille avec ses haussements d'épaules et sa moue enfantine. Il accepta les clés et se rapprocha du cabriolet. Du bout des doigts, il caressa la peinture qui commençait à s'écailler sur certains côtés. Il ouvrit la boîte à gants. Son livre n'y logeait plus. 

Cette voiture était à l'image de Créa. Sauvage mais pas indomptable. Impressionnante mais vulnérable. 

« Tu es folle.

— Je prends ça pour un compliment. »


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Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant