Chapitre VI - 3

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                Le père de Sayako avait essayé de l'abattre avec un katana en bois. Yuuma ne faisait pourtant que traîner ses pantoufles de chauve-souris dans le couloir... comme s'il était chez lui, peut-être, mais est-ce que ça méritait de se faire courser à la mort avec un corps et une immunité déjà bien faible ? Non.

« J'étais juste très surpris de voir un inconnu dans ma demeure. Tu m'excuseras, mais ça fait bien longtemps que ma choupette a invité quelqu'un ici.
- M'ouais. Sans rancune, j'imagine ? »

L'homme avait un rire tonitruant, une grosse main qu'il aimait bien écraser contre son dos pour plaisanter. Ouais, ce n'est pas comme si Yuuma allait risquer de se frotter à l'armoire à glace qu'était le père Sakunami. Ce qu'il n'avait pas prévu, c'est de finir plus tard, dans le salon, à faire du yoga avec lui dans un fond sonore de chants de baleines.

« Hmmmm, entends l'appel de ses beautés sous-marines, mon garçon, laisse-les t'emporter dans leur danse, laisse-les évanouir toutes tes peurs et tes violentes pulsions. »

Ça pourrait marcher si dans le point de vue Yuuma, le chant de ses bestioles ne ressemblait pas aux lamentations du purgatoire. Et si le timbre de la voix de l'homme perdait un peu de sa force bestiale.

« Relâche tes épaules, tes muscles, laisse tes poumons avaler la semence revigorante de Poséidon ! Laisse-toi te purifier, Yuuma !
- C'est moi ou vous me demandez de m'imaginer boire le spe—
- Relaxe-toi entièrement. »

Ok, ça ne marchait pas. Se relaxer debout sur un seul pied pendant cinq minutes entières avec un discours étrange à l'oreille, c'était de la merde. Yuuma dansait sur son faible équilibre, se retrouvait à sautiller sur sa jambe en tournant en ronds pour ne pas chuter sur sa gueule. Il ouvrit un œil curieux pour rencontrer la silhouette inébranlable de Sakunami Kaguya. Grand, carré, imposant, les cheveux sombres levés en un chignon négligé et une pilosité bien touffue sous le nez. Voilà là, l'homme qui se tenait dans la même position de la montagne que lui. Sauf qu'il avait plus de classe.

« Yuuma, redresse-toi encore une fois, il ne reste plus que trente secondes. »

Comment l'homme avait pu le voir à travers ses paupières closes, ça, il l'ignorait. Ça n'empêcha pas Yuuma de lui tirer un gros majeur, l'instant même où Kaguya ouvrit ses pupilles rosées à l'éclat amusé.

« Tu es un sacré petit salopard, Yuuma.
- Et vous, vous avez une grosse moustache. (Il croisa les bras, neutre) Elle fait trop fake, vous l'avez scotché avec du caramel ? »

La répartie était absente, mais devant ce mastodonte, il valait mieux. Les yeux de Kaguya s'étaient plissés dans un air pensif, il caressait à présent le bout de sa moustache entre son pouce et son index.

« J'aime bien les Quesadillas, pas toi ? Ils fondent sous la langue, comme de la guimauve. »

Plusieurs secondes passèrent où il demeura immobile, à fixer avec de gros yeux ses pantoufles abandonnées près du tapis. Yuuma commençait à se demander s'il ne venait pas de s'endormir debout, jusqu'à qu'il se redresse brusquement en ouvrant un pas décidé vers la cuisine.

« Je vais nous commander des Quesadillas !
- Chouette ! »

Un applaudissement exagérément excité le gratifia. Yuuma se laissa affaler sur le canapé en attendant que Kaguya passe son coup de fil. Sans le dialogue de ce dernier, la mélopée des baleines hantait le séjour plus que jamais. L'heure affichait dix-sept heures et demie, mais la porte restait fermée, sans l'ombre du retour de Sayako. Un soupir ennuyé le quitta. Qu'est-ce qu'il se faisait chier à croupir à la maison, si le père de famille n'était pas rentré pour son congé, Yuuma aurait fini de se terrer dans sa solitude avec les moutons de poussières sous les meubles.

N o s e d i v eWhere stories live. Discover now