° Chapitre 1

912 33 3
                                    

La musique battait à son plein, un petit artiste de bas étage tentait de jouer un morceau au clavecin et je cherchai Mme d'Urfé des yeux. Ne venais-je pas de faire des centaines de kilomètres pour passer un peu de temps avec elle ? La salle avait été magnifiquement arrangée pour l'occasion. En effet, selon les Annales, à l'occasion de l'anniversaire de mariage de sa fille, Mme d'Urfé organisait un modeste bal. Modeste ? C'était un piètre euphémisme. La salle de bal avait été spécialement décorée et resplendissait. Elle était tellement éclairée que j'avais l'impression que tout le monde rayonnait. Au fond de la pièce, je distinguai enfin Mme d'Urfé, assise sur un sofa de velours. Malgré qu'elle approchait de ses cinquante-cinq ans, elle semblait bien se porter, affichant un fin sourire et tenant entre ses mains un gros chat roux. Extra, moi qui détestais ces bêtes-là.

Me faufilant entre les velours et les rubans des robes volantes à la française, j'essayai de ne pas écraser de tissus, sans perdre de vue Mme d'Urfé qui venait de se lever. En quelques enjambés, j'arrivai près d'elle et m'inclinai. Elle me tendit une main frêle que je n'hésitai pas à baiser, usant de mon charme. Il ne fallait pas que j'échoue aujourd'hui, je devais prendre toutes mes précautions. Malheureusement, d'un autre côté, le temps m'était compté.

- Mme d'Urfé, je suis honoré de faire votre connaissance, on m'a si souvent parlé de vous. Sir de Villiers, pour vous servir.

Elle souria, en gloussant telle une enfant. Je répondis à son sourire en me redressant, lâchant sa main.

- Qui vous a donc tant parlé de moi, demanda-t-elle, ravie d'être le centre de l'attention.

- Le comte de St-Germain, Milady.

Son visage se figea. Mon ventre se noua, avais-je fais une bourde ? Malgré ce début d'inquiétude naissant, je ne laissai rien paraitre. Le Comte m'avait conseillé de paraître totalement sûr de moi. « Les femmes sont d'une telle stupidité, avait-il dit, vous pourriez leur raconter quelques baratins qui soient qu'elles y croirait tant que vous eussiez l'air sérieux.» Je décidai d'opter pour ce conseil, qui semblait bienvenu à présent.

- Milady, pouvons-nous nous entretenir s'il vous plaît ?

- Je ne crois pas, non.

Son air enjoué semblait s'être envolé d'un coup, et elle me toisait à présent d'un regard si glacial que je faillis moi-même m'excuser d'avoir osé prononcer le nom du Comte. Mais je n'en fis rien.

- Nous avons beaucoup de choses à nous dire Mme d'Urfé. Ou préfériez-vous que je vous appelle Citrine ?

Cela sembla retenir son attention car elle tourna son regard d'un coup vers moi. Presque effrayée.

- Ne m'appelez point comme ça, je vous prie, dit-elle froidement.

Puis ses traits s'adoucirent à nouveau et elle paraissait de nouveau amusée par la soirée.

- Oh ! s'exclama-t-elle en tirant vers elle une jeune fille à la robe aussi extravagante que la perruque qui se dressait sur sa tête. Vraiment, quelle drôle de mode, tout de même. - Je vous présente ma chère fille Adélaïde, épouse du marquis du Châtelet. Il y a cinq ans que le marquis a demandé ma merveilleuse fille en mariage. N'est-ce pas fabuleux ?!

Je lui souris, baisai la main de la prénommée Adélaïde et me présentai également. Mais mon attention se porta vite à nouveau sur Mme d'Urfé, lorsque sa jeune fille s'en fût aller chercher une coupe de vin.

- Accordez moi un peu de temps. Vous devez savoir qu'il me presse.

J'osai jouer de mon charme encore une fois et je vis dans son regard que j'avais gagné. Elle fit signe que je la suive et nous zigzaguions entre les convives, glissant quelques « Bonsoir Milord» par-ci, « Bonsoir Milady » par-là, pour au final nous asseoir près du clavecin où le piètre musicien continuait de jouer lamentablement.

Blanc DiamantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant