Chapitre 19: Aubépine

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Aubépine: Espoir prudent

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Rhode Reiss était ravi.

Claquant sa langue contre son palais pour accentuer le goût de sa gorgée de vin, il contempla avec l'air tranquille d'un observateur la soirée mondaine qui battait son plein dans la salle. La joie et l'excitation du moment reflétaient ses propres émotions. Enfin, il avait réussi à maîtriser les variables importunes qui avaient menacé l'ordre des murs. Enfin, tout était à nouveau sous contrôle.
Ce n'était qu'une question de temps avant que les derniers renégats soient arrêtés et que les rouages puissent enfin se remettre en place, supprimant ainsi toute trace d'angoisse de sa vie.

Les deux démons Ackerman étaient au sous sol, enchaînés, et Erwin Smith allait débarquer d'une minute à l'autre devant toute cette noble assemblée, pieds et mains liés, forcé de courber l'échine devant un roi factice et pathétique, un vulgaire outil qui avait pourtant réussi à convaincre tous les habitants des murs, un vioque dont Rhodes s'était servi pour duper le monde comme il savait si bien le faire.
La légende d'Erwin Smith allait s'effondrer, et tous les doutes, toutes les menaces de changement qui reposaient sur elle, tomberaient alors aussitôt. Le lac redeviendrait plat, la tempête cesserait enfin.

Les portes s'ouvrirent, et le regard de l'héritier des Fritz croisa celui du chef des bataillons. Si leurs yeux à tous deux étaient bleus, ils n'en restaient pas moins fondamentalement différents.
Ceux de Rhodes, d'une couleur fade rappelant celle des fleurs fanées, évoquaient la platitude monotone d'un ciel d'été lourd et pesant, inspirant la paresse, la lassitude et la permanence. Ceux d'Erwin, eux, étaient profonds comme un océan prêt à engloutir quiconque y plongeait vers un monde inconnu, dangereux et magnifique, qui ne demandait qu'à être exploré.

Insolent, le Major ne cilla pas malgré le choc de son arrestation. Il ne détourna pas la tête et adressa au petit homme responsable de sa situation un rictus suffisant ainsi qu'un hochement de tête.
Évidente provocation, le message était clair: malgré les événements, Erwin Smith était chez lui sur n'importe quel plateau de jeu, et peu lui importait si ce n'était pas lui qui avait pris l'initiative de la partie. Il avait reconnu son adversaire, lui souhaitant bonne chance.

Comment pouvait-il encore penser gagner ?
Comment avait-il la prétention d'agir comme s'il avait l'avantage ? Rhodes était furieux. Ce grand benêt était-il trop stupide pour ne pas tomber à ses pieds et implorer sa clémence ? Comment osait-il le défier alors qu'il se trouvait au bord du précipice ? Avait-il un plan de secours ? La jambe droite de Rhodes se mit à tressauter: non, c'était impossible. Ses soldats avaient coincé le reste du bataillon à l'heure qu'il était, les Ackerman étaient sous terre, en cage, comme les chiens qu'ils étaient destinés à être, et Erwin ne disposait de rien d'autre que la parole pour se défendre. Il bluffait.

La rumeur de conversations exaltées se propagea dans toute la salle. « C'est vraiment lui ? », « Alors ça y est, ils l'ont attrapé ? », « Le reste des bataillons a aussi été maîtrisé à votre avis, Gretchen ? », « Quel soulagement ! ».
Théâtralement, les portes de la salle du trône s'ouvrir, révélant le roi des murs, le pantin de Rhodes, lascivement assis sur son pied d'estalle de velours et d'or, fourgué d'un noble à sa droite et d'un haut dignitaire de la religion du mur à sa gauche. Deux soldats attrapèrent le Major; par une épaule chacun, tandis que le reste du cortège armé reculait, se positionnant ainsi entre la foule de nobles et la salle du trône où allait se jouer le sort d'Erwin Smith.

[ RIVAMIKA ] MirrorsWhere stories live. Discover now