Chapitre 13 : Chase

2.4K 145 18
                                    

Il fait froid.

Voilà donc la seule pensée que mon cerveau endolori arrive à exprimer sans interférence.

J'ai froid, j'ai l'impression que mes organes sont gelés, que mon corps n'est qu'une vieille carcasse vide, creuse.

Mes oreilles bourdonnent, je n'arrive pas à distinguer entre les bruits ambiants de cette salle froide, humide, qui sent le pourri à des kilomètres à la ronde. Tout ce que j'arrive à entendre sont les hurlements agonisants d'un homme souffrant le martyre, hurlant qu'on abrège ses souffrances.

C'est homme c'est Lorenzo et il est en train de se faire torturer.

Je me roule en boule et me bouche les oreilles avec le peu de force qu'il me reste, terrorisé par ces hurlements de douleur, apeuré à l'idée de repasser une seconde fois entre les mains de ces hommes cruels, ces sauvages sans scrupule.

Tout ce que je sens sont de chaudes larmes couler le long de mes joues, des larmes de désespoir. J'ai envie de sortir d'ici, j'ai envie qu'on nous retrouve, j'en ai tellement envie que j'en étouffe, chaque bouffée d'air est plus douloureuse que la précédente et mon cœur menace de se rompre chaque seconde qui passe.

Que je sorte ou que je meurs ! Je n'ai plus envie d'être torturé, d'être soumis à cette douleur si aiguë qu'elle éclate dans mes veines et me pousse à la folie. J'aurai été prêt à tout pour que cela s'arrête, à faire n'importe quoi pour un peu de clémence.

-"mon dieu..." sangloté-je lorsqu'un nouvel hurlement de Lorenzo déchire le silence.

Ils viennent de lui arracher une dent ou un doigt, je ne sais plus trop.

Je ferme les yeux et tente d'imaginer la vie à l'extérieur. Mes parents qui dansent sur une vieille chanson des années cinquante, amoureux comme au premier jour, ma sœur Eleanor, arrogante avocate mais véritable cœur d'artichaut sous ses tailleurs bien repassés et ses coiffures impeccables, tante Alysson et oncle Aaron qui se chamaillent comme deux adolescents qui se tournent autour et Emma, la femme que j'ai faite souffrir plus que de raison et dont je n'ai qu'une seule envie : qu'elle me pardonne.

D'ailleurs, je me fais la promesse de tout faire pour la conquérir lorsque je sortirai d'ici.

Si je sors bien sûr...

Un énorme fracas résonne près de moi, le bruit métallique d'une porte qui se referme me sort de mon imagination.

Un homme de carrure imposante jette un Lorenzo à moitié mort à mes côtés, le visage si tuméfié et ensanglanté que j'ai du mal à la reconnaître. Du sang noirâtre dégouline de sa bouche, coule de ses doigts et comme je l'avais compris : il lui en manque un. Je ne vois qu'un bandage fait à l'arrache, déjà sale.

Je rampe jusqu'à lui, le coeur battant, tétanisé. Je ravale la boule amère nichée au fond de ma gorge et pose doucement mes doigts sur sa main.

Il sursaute.

-"Lorenzo, je suis là" lui dis-je sans grande conviction.

Il gémit pour toute réponse, pathétique, misérable, il est bien incapable d'aligner le moindre mot.

Je prends sa main entre le mienne et la serre fort pour lui signaler que je ne le quitterai jamais, que nous sommes amis et que jamais rien ne pourra se mettre au travers de cette amitié qui dure depuis le berceau.

Un silence s'abat sur nous, bientôt brisé par des sons étouffés, presque inaudible. Lorenzo pleure, de douleur ou de désespoir ? Peut-être les deux.

Il tente d'articuler mais il en est incapable, bien trop amoché.

-"ne t'en fais pas amigo, on va s'en sortir" commencé-je sans même y croire.

-"on ira à El Castillo d'El León et on mangera tellement de pizzas qu'on aura plus faim pendant trois jours. Tu seras de retour chez toi et tu mamá t'attendra pour te prendre dans ses bras, elle te grondera bien évidemment et t'insultera peut-être mais ta mère t'aime et tu seras son favori pendant des années" continué-je sans trop savoir où je veux en venir. Pour être honnête, même moi je me perds dans cette utopie, ce rêve éveillé, la seule chose qui tient encore éveillé.

De petites plaintes de douleur lui échappent mais sa main, affaiblie, serre presque imperceptiblement la mienne, me signalant que lui aussi, rêve comme moi.

-"tu reverras tu papá et son sourire rassurant, Clementina et sa petite Katja et Emiliano avec son air supérieur. Tu pourras peut-être trouver le courage d'aller aborder cette jeune étudiante qui travaille pour tes parents : je sais que tu as des vues sur elle depuis que tu l'as vue grandir et s'affirmer. Ne t'inquiète pas, on va s'en sortir"

Je soupire, tente de calmer les pulsations erratiques de mon cœur. Comment rassurer mon ami alors qu'au fond même moi je n'y crois pas ?

N'est-ce pas hypocrite de ma part de lui mentir en sachant pertinemment que nos chances de nous en sortir sont presques nulles ? Même si je suis moins amoché que lui, vu la passion avec laquelle ils s'achatnent sur Lorenzo, je doute qu'il puisse s'en sortir.

-"qu'est-ce que t'as foutu Lorenzo ?" lui demandé-je sans trop attendre de réponse, soudainement traversé par une rage sourde.

-"dans quelle merde tu t'es fourrée pour nous entraîner dans une situation pareille ?"

Je tape du pied, frustré, triste, dépassé par la situation. Je sais qu'accuser mon ami à moitié conscient ne sert à rien mais c'est plus fort que moi, je dois trouver un coupable.

-"Lo...siento...C...Chase" articule-t-il au prix d'un énorme effort, sa voix étouffée par des sanglots.

Je me rassois, dépité et reprends sa main entre la mienne.

-"ce n'est rien, ce n'est pas comme si on pouvait changer quoi que ce soit"

Un bruit m'interpelle, je me tourne et découvre notre ravisseur, debout en face de moi, le sourire si large qu'on aurait l'impression que c'est une hideuse grimace. Son regard est flamboyant, triomphant.

-"tu veux savoir pourquoi vous êtes là ?" demande-t-il en espagnol, langue que je maitrise parfaitement. 

Je me lève, un air de défi placardé sur le visage. Si je devais mourir, je mourrais digne.

-"sí, parle !" aboyé-je en serrant les poings.

Il points Lorenzo du doigt puis éclate d'un rire sardonique, cruel.

-"il s'est attaqué à la mauvaise personne, il se croyait supérieur. Pensait-il vraiment s'en sortir en s'attaquant à Don Aguilar ?" lance-t-il en souriant.

Il secoue la tête.

-"qui est-ce ?" me risqué-je à demander.

Un autre éclat de rire.

-"tu le sauras bien assez tôt, ton ami est assez important pour que le boss se déplace d'Espagne pour l'achever, tu seras assis aux premières loges

Je me fige, traversé d'un sentiment d'horreur. Je regarde mon ami, inconscient, impuissant. Je n'ai pas envie de le voir mourir, c'est mon frère d'une autre mère mais mon frère tout de même.

-"son père devrait être en mesure de payer pour son fils"

-"il veut sa peau" contre-t-il.

-"toi par contre, tu peux avoir une chance de en sortir, tu ne lui serviras à rien" 

-"qu'est-ce que Lorenzo a fait ?" demandé-je encore une fois d'un ton presque suppliant.

L'homme semble réfléchir à ma question.

-"bonne chance"

Et il referme la porte derrière lui, nous laissant encore une fois seuls face au désespoir.

Je m'accroupis face à mon ami et doucement, je lui caresse son épaule dans une ultime tentative de le rassurer.

-"qu'est-ce qu'on va devenir ?..."

Dévoile-moi Tome2Where stories live. Discover now