Chapitre 17 : Emma

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La manière dont réagissent les gens à un traumatisme est propre à chaque individu, il n'y a pas de règle générale au comportement, sinon tout le monde serait identique à son prochain et la vie serait d'un ennui mortel. Ainsi, après avoir longuement souffert d'être brûlée sur une grande partie de mon corps, avoir vu ma famille voler en éclats et par la suite avoir connu Chase, j'essaie tant bien que mal de surmonter cette nouvelle épreuve que la vie met en travers de mon chemin.

Ce n'est pas facile. Je me réveille en sursaut chaque soir, le souffle court, le cœur battant, tentant durement de me convaincre que je suis émoustillée sous de chaudes couvertures, à l'abri, en sécurité.

Je n'éteins pas la lumière, je la laisse ainsi allumée toute la nuit et depuis quelques temps, sur les conseils de Chase, je prends des cours pour me défendre.

Il est très dur d'accepter les événements qui se sont produits en Afrique, je ne pense même pas être capable de m'en remettre un jour : tous ces corps allongés, froids, sans vie, mon ami Isaac étendu, mort. Toutes ces images me hantent, j'entends encore les hurlements apeurés de toutes les victimes, tétanisées, conscientes qu'elles vont mourir.

Je déglutis péniblement, au delà du soulagement d'être en vie, d'avoir été épargnée, je regrette. Je regrette de ne pas avoir pu faire grand chose, de ne pas avoir pu aider mes collègues. Je suis consciente que je n'aurai été d'aucune utilité, que sans Chase, je serai sans doute enterrée dans un cimetière quelconque, le corps mutilé mais je ne me résous pas à avancer.

Teddy semble de mon avis, bien que contrairement à elle, je ne me cache pas derrière une façade, je ne bois pas jusqu'à m'effondrer, inconsciente et je ne tente pas d'oublier. Au contraire, je tâche de me souvenir de cette nuit, de la chance extraordinaire d'avoir survécu. Oublier serait une insulte à la mémoire de mes amis tombés en Afrique et je ne me permettrai jamais d'insulter la mémoire d'Isaac, cet ami si cher à mon cœur.

On ne devrait pas oublier. On devrait au contraire s'en souvenir, nous rappeler d'eux, de leur bravoure. C'est peut-être la raison pour laquelle je fais partie des rares personnes qui n'en veulent pas à Lorenzo De Hayos, je ne peux même pas imaginer l'ampleur de ce qu'il doit ressentir à cet instant, savoir que c'est à cause de lui que tout ce massacre a eu lieu.

-"salut"

Je me retourne, un mince sourire incurvé sur mes lèvres lorsque je découvre la silhouette de Chase debout près de moi.

Je prends le temps de le détailler. Sa peau, d'une pâleur inhabituelle crie à la maladie, ses yeux sont cernés, son expression défaite. Il ne ressemble en rien à l'horrible personne que j'ai connue, non, l'homme qui se tient devant moi est épuisé, brisé et malade.

-"comment tu te sens ?" demandé-je en me penchant pour déposer un petit baiser sur sa joue.

Il recule, encore surpris de la simplicité avec laquelle j'arrive à le toucher.

Il sourit.

-"je vais bien, du moins je suppose que je vais bien. Je suis très inquiet pour Lorenzo, il ne parle presque plus" laisse-t-il échapper dans une plainte torturée.

Je laisse échapper un soupir vaincu.

-"sa mère est venue le voir, c'est la seule à qui il ait réellement parlé, elle le traitait de petit con"

Un mince sourire apparaît sur les lèvres de Chase.

-"elle a toujours été comme ça" commence-t-il faiblement avant de se tourner vers moi :

-"il n'arrive même pas à me regarder dans les yeux"

-"il se sent coupable" dis-je simplement, me saisissant de sa main.

-"tout le monde le prend pour responsable, tu as lu la presse à scandale ?"

-"ce ne sont que des chiffons, un ramassis de conneries"

Il acquiesce.

-"si seulement je pouvais faire quelque chose pour lui venir en aide !" s'exclame-t-il en se laissant tomber sur une chaise.

Je prends place près de lui, avec une certaine hésitation je me saisis de sa main et noue ses doigts aux miens. D'abord surpris par ce contacte nouveau, il se laisse pourtant faire, ses yeux farouchement ancrés dans les miens.

-"si tu veux l'aider sois présent pour lui, ne le force pas à parler mais reste à ses côtés. Tu n'imagines pas à quel point une simple présence réconfortante peut aider"

Un mince sourire prend place sur ses lèvres. Il me détaille longuement, faisant naître au creux de mon ventre une agréable chaleur que je n'ai pas ressenti me depuis des années. Depuis qu'il m'a embrassé pour la premiere fois dans cette chambre d'hôpital sans nom, à une période où mon souhait le plus cher était qu'il disparaisse de la surface de la terre.

Les choses ont vraiment changé mais une seule est restée inébranlable : je n'ai jamais pu lui résister.

-"tu sais, lorsqu'on était enfermé, je voulais lui en vouloir" explique-t-il, le ton grave, les yeux plissés, encore habités de terreur. Je sais que c'est dur pour lui d'en parler mais d'une faible pression sur sa main, je lui signale que je suis là pour l'écouter, qu'il ne doit pas avoir peur de se confier à moi.

-"mais quand l'ont jeté à mes pieds, son visage méconnaissable et son corps ensanglanté, je n'ai pu lui en vouloir, je me suis dit qu'il n'avait rien fait, que Lorenzo n'était qu'une victime des circonstances"

-"et lorsque la crapule qui nous détenait m'a expliqué pourquoi il voulait s'en prendre à Lorenzo, je l'ai admiré comme jamais je n'ai admiré quelqu'un, il restait là, fort, ligoté comme un animal et il défendait l'honneur de sa mère"

Je sanglote, bouleversée, c'est la première fois depuis notre retour aux États-Unis que j'apprends réellement ce qui s'est passé ce jour là et voir à quel point ça affecte Chase ne fait que briser mon cœur un peu plus.

-"moi, j'ai été faible, je suppliais nos ravisseurs de nous laisser partir"

-"ne dis pas ça Chase" murmuré-je avec conviction en portant ma main à sa joue.

Il ferme les yeux et prends une profonde inspiration.

-"si, c'est vrai. Il a pointé une arme sur lui et lui a ordonné de baisser les yeux. Tu sais ce qu'il a répondu ?"

-"non"

-"Lorenzo a refusé de baisser les yeux. Je ne pouvais rien faire, j'ai été lâche Emma, j'avais peur de mourir"

-"tout le monde a peur de mourir" commencé-je d'une voix faible en caressant sa joue.

-"mais rien de tout ce que tu diras ne me fera croire que tu es un lâche parce que tu restes la personne la plus courageuse que je connaisss" lui affirmé-je avec force.

Mon cœur bat la chamade, jamais je n'ai été aussi sûre de mes propos qu'à cet instant précis.

-"tu le penses ?" questionne-t-il faiblement, la voix remplie d'espoir, ses yeux noisettes brillants d'une lueur que je n'ai jamais encore décelée chez lui.

-"je ne le pense pas, je le sais et je suis très fière de toi"

Contre toute attente, dans un silence, Chase me prend dans ses bras, me serre si fort contre lui que je sens des larmes me piquer les yeux.

-"je suis vraiment désolé pour tout ce que je t'ai fait, je sais qu'une vie ne suffira jamais pour me racheter mais je voulais que tu saches que j'ai beaucoup pensé à toi durant ma captivité"

Il s'arrête quelques instants, sondant ma réaction, lorsqu'il comprend que je suis touchée par ses déclarations, il continue :

-"tu m'as aidé à tenir Emma, et je me suis promis de tout faire pour que tu me pardonnes"

Je secoue la tête avec vivacité, sentant déjà les larmes rouler le long de mes joues.

-"je t'ai déjà pardonné" lui dis-je dans un sanglot.

Je le prends dans mes bras et pour la énième fois, je lui assure :

-"je suis heureuse que tu sois en vie Chase..."

Dévoile-moi Tome2Where stories live. Discover now