Chapitre 1 : les montagnes de la Colère

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"Les Dieux ne sont pas tous bons.

Mais leurs pouvoirs sont ceux de la justice.

Car les puissants sont la justice.

Dans une guerre, la notion de bien ou de mal n'existe pas."



Je connais très mal l'histoire du Roi de la Colère. Dans mon village, on parlait davantage du Bestial, jugé comme une menace bien plus directe.

Cependant, comme chacun des Rois, il ne m'est pas pour autant inconnu.

Je tapote l'épaule de Tsuyu, qui m'adresse un coup d'œil interrogateur.

« Je suis fatigué, tu crois que je peux me permettre de somnoler un peu ? »

« Vas-y. Tu n'as pas fini ta convalescence, après tout. Je veille. »

Sans plus discuter, je m'étend sur le large dos du Vazours, l'une de ses touffes de poils serrées dans mon poing.

Alors que je ferme les yeux, je sens la main de mon amie se poser sur mon épaule, me sécurisant, au cas où.

C'est ainsi que je sombre petit à petit dans le sommeil, bercé par le pas lourd et régulier de l'énorme ours vert vase.

Si l'on m'avait un jour dit que je dormirais sur le dos d'une Créature...


Depuis mes incursions dans la trame du destin à travers le passé du Roi-bestial, j'ai remarqué que j'ai développé une tendance à faire des rêves presque lucides.

Aussi, quand je me retrouve dans mon ancien village, en pleine nuit, devant l'un des feux de joie que les miens avaient coutume de réaliser les soirs de fêtes, j'ai bien conscience d'être en train de rêver.

Mon regard se porte naturellement sur un grand homme filiforme qui se tient perché sur un tabouret, comme s'il s'agissait d'une estrade.

Balayant théâtralement l'air d'une de ses grandes mains, il commence à murmurer avec emphase la phrase rituelle des conteurs :

« Les écrits s'effritent face au temps, pendant que les paroles restent sur les langues. C'est pourquoi il est important que durant mon conte, chaque spectateur s'oublie et ouvre ses oreilles, afin de laisser un peu de place à l'histoire. »

Quel âge avais-je quand cet espèce d'épouvantail est passé dans mon village ? Cinq ans ? Six, peut-être ?

C'est l'une des uniques fois où j'ai entendu quelqu'un raconter l'histoire du Roi de la Colère.

« Je voudrais vous parler d'un temps où les hommes vivaient encore dans ce que nous nommons, aujourd'hui, les Anciennes-terres. Quelque part, là-bas, se dresse un grand territoire abritant, à ce que l'on dit, les plus hautes montagnes de notre monde ! J'imagine que ce doit être une vision sans commune mesure... Mais il fut un temps où ce paysage était déchiré et enlaidit par les conflits. Ses habitants, disséminés en clans, se disputaient inlassablement. »

L'homme mime de manière grotesque une foule, empruntant plusieurs voix pour claironner dans la nuit : « Ces terres sont à nous ! Celles-ci nous reviennent ! Non, elles sont à nous ! Nous avons gagné le droit de vivre là ! Nous allons vous les reprendre ! Venez, nous vous attendons de pieds ferme ! »

Il s'arrête et secoue tristement la tête.

« Tant de cris. Entre les plaines et les montagnes : n'y avait-il donc pas assez de place pour tous ? Toujours est-il que la paix n'existait pas, là-bas. Seule la guerre régnait. »

L'ère des maudits - 2 - le Roi de la colèreWhere stories live. Discover now