Chapitre 8 : un peu de temps

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La massue de fer s'abat à la vitesse d'une comète, fatale et inarrêtable.

Je ferme les yeux, incapable de regarder l'instrument de ma mort en face.

J'entends le bruit mou de mes os qui se brisent... mais absolument aucune douleur.

...Suis-je morte sur le coup, sans souffrance ?

J'ouvre un œil prudent ... Pour découvrir l'arme du Roi arrêter à deux centimètres de mon visage !

Mais plus que ça, ce qui me choque, c'est la présence de Denki juste devant moi... son bras écrasé, mais toujours là, sa paume ayant interrompu le massue en pleine course !

Il s'efforce de sourire comme si de rien n'était, mais la douleur se lit sur le moindre de ses traits.

« Je peux savoir ce que tu fais ? » Gronde le Roi, la colère se disputant avec une profonde confusion sur son visage.

« Tu... tu ne vas pas te contenter de juste la tuer... Si ? Ne... ne crois-tu pas qu'elle ne le... mérite pas ? » halète le blond.

Son souverain retire immédiatement son arme pour en libérer son subalterne, qui soupire de soulagement, tandis que son bras broyé retombe sur son côté.

« Arg, merci... »

« Que veux-tu dire quand en disant qu'elle ne le mérite pas ? »

Le ton du Roi est dur, dépourvu de la moindre pitié.

Mais Denki ne lui répond pas immédiatement, se massant le bras, dans le visible but de remettre ses os en place...

« ...La mort ne serait-elle pas un châtiment trop... doux ? Après ce qu'elle a fait... Tu ne penses pas ? »

L'autre esquisse une moue songeuse, s'apparentant d'ailleurs plus à un rictus difforme, à cause des crocs qui dépassent de sa bouche...

« Trop doux...? Tu crois ? »

« Oui... »

« Tu penses à quelque chose ? »

« Hum... Non... Mais on pourrait l'enfermer, pour nous laisser le temps d'y réfléchir ? Qu'en penses-tu ? »

Cette conversation m'apparaît comme surréaliste, mais je suis trop tétanisée pour réagir.

Le Roi de la Colère se gratte le menton, puis hausse ses larges épaules.

« D'accord. »

Il fait un signe de sa grande main, rapidement suivit de bruit de pas, puis de la sensation de poigne ferme qui se referme sur moi et qui m'entraîne de force.

Je ne résiste pas, bien trop sonnée.

Un sursis... J'ai gagné un sursis... Mais pour combien de temps ?


*

Tsuyu, prisonnière de la foule, ne peut qu'assister, impuissante, à l'incarcération de son amie.

Elle sent une main douce mais ferme, qui se refermer sur son épaule.

À côté d'elle, Kyoka la dévisage.

« Je crois que tu as deux ou trois trucs à m'expliquer. Mais d'abord : partons d'ici... Les Onis vont sûrement procéder à une inspection d'à peu près toutes les personnes présentes, ne serait-ce que pour la forme. Il serait dommage qu'il te découvre. »

Sans attendre sa réponse, elle la prend par le poignet pour l'éloigner à grands pas de la place.


Cinq minutes plus tard, elles sont dans une ruelle sombre, loin de l'agitation du festival, où tous les locaux sont encore rassemblés.

« Il y a peu de chance qu'on soit dérangé, surtout ici, mais dans le doute : garde bien ta capuche rabattue. »

Tsuyu tire aussitôt, nerveuse, encore une fois sur le capuchon de toile que sa nouvelle comparse lui a remis plus tôt, alors que celle-ci fait de même.

« Seuls les Onis sont autorisés à habiter à la capitale. Les humains ne peuvent y venir qu'au solstice d'été, pour le festival. »

« C'est déjà mieux que chez moi... »

Kyoka hausse mollement les épaules à cette remarque marmonner.

« Si tu le dis. »

Puis elle réadopte une expression plus sérieuse, alors qu'elle continue :

« Mon père croit que je ne viens jamais ici, évidemment, mais en réalité je m'y rends de temps à autre... Je prends un très gros risque en t'en parlant, tu sais ? Alors j'attends que toi non plus tu ne me caches rien, quand ce sera à ton tour de parler. On est bien d'accord ? »

La fille-grenouille hoche la tête.

« Bien. Donc, comme je te le disais : je viens parfois... Car je collabore avec la rébellion ! Des hommes et des femmes qui n'ont pas froid aux yeux et qui ont la ferme intention de mettre fin au joug des Onis ! »

Tsuyu fronce les sourcils. Des rebelles ? C'est la première fois qu'elle entend parler d'un tel groupe. À sa connaissance, les humains vivant encore sur les Anciennes-terres, quel que soit l'endroit, avaient construit une relation avec leurs Rois respectifs, plutôt compliquée certes, mais sans résistances à leur encontre !

Kyoka grimace devant le mutisme choqué de son interlocutrice.

« Quoi ? Ça te paraît si absurde que ça ? Oh oui, j'imagine que ça doit bouleverser le monde de mademoiselle la Maudite, que l'on puisse vouloir s'opposer aux monstres que sont les Rois ! Eh oui, ne crois pas que je n'ai pas remarqué ce que tu étais ! Tu ressembles peut-être à une humaine, mais tes yeux, ta langue et ta gestuelle ne m'ont pas trompé ! ...Je ne suis pas aussi aveugle que mes congénères. »

Ses mots sont agressifs et amers... Comme si elle crachait un poison qu'elle avait sur le cœur depuis trop longtemps.

« Tu... Non. Tu te trompes. Je comprends parfaitement que l'on puisse vouloir se battre contre eux. Je... j'ignorais juste qu'il existait des rebelles humains.... J'appartiens à un réseau de personnes qui tente de réhumaniser, au moins un peu, les Rois... »

C'est au tour de Kyoka de froncer les sourcils sous le coup de la surprise.

« Attends... Tu essai de me faire avaler qu'il y a des Maudits... qui s'opposent à leurs maîtres ? Arrête de te moquer de moi ! C'est impossible... ! »

« Alors comment expliques-tu ma présence ici ? Au côté d'une humaine ? »

« Tu la trompes sur ton identité et tes intentions, bien sûr ! Tu... »

« Elle est mon amie. Elle a fissuré la coquille de haine du Bestial ! Nous sommes venus ici, car le Roi de la Colère est censé en être le meilleur ami et que nous voulons en apprendre plus sur eux, dans l'espoir de les raisonner un peu tous les deux ! »

Kyoka ouvre et ferme plusieurs fois la bouche, tel un poisson hors de l'eau, trop sous le choc suite à la tirade de Tsuyu, qui la fusille à présent du regard, remontée après s'être ainsi entendu accusée de vouloir trahir son amie !

Elle enfonce son doigt dans le torse de la jeune fille, tandis qu'elle articule durement :

« Ochaco et moi avons été contraintes de venir ici précipitamment. Nous n'étions clairement pas prêtes, je te l'accorde... Mais cela ne signifie en aucun cas que je vais baisser les bras. Et même si je ne connais pas Ochaco depuis très longtemps, je peux t'assurer d'une chose : elle n'abandonnera pas non plus. Elle est souvent maladroite, doute beaucoup, a peur... Mais elle a un rêve auquel elle croit de tout cœur. Et avec ou sans ton aide, je vais l'y assister ! »

L'ère des maudits - 2 - le Roi de la colèreWhere stories live. Discover now