Chapitre 7 : pas de pardon

21 8 1
                                    

« Gagner son... pardon ? »

« Oui, c'est le but de cette fête. »

« Mais... Son pardon pour quoi ? »

« Plus personne ne le sait vraiment... La majorité s'accorde à dire que c'est pour nous excuser d'avoir provoqué sa première grande colère, au cours de laquelle il a massacré les clans d'antan... Mais c'est tellement vieux, que rien n'est moins sûr. »

« Attends... Donc tu es en train de me dire que vous êtes condamné à payer un tribut depuis des générations... pour une faute dont vous ne savez plus rien ? »

Le regard que m'adresse la jeune fille est chargé de tristesse et de colère rentrée...

« Oui. C'est exactement ça. »

Je m'apprête à exprimer encore ma consternation, mais un bruit de gong retentit soudain !

La foule commence aussitôt à se masser à proximité de l'estrade et nous sommes entraînés sans pouvoir lutter !

C'est ainsi que Tsuyu et Kyoka sont brutalement séparées de moi... qui me retrouve poussé vers l'avant.

J'ai donc une vue parfaite sur les deux Onis qui montent sur l'estrade...

J'écarquille les yeux alors que je découvre le premier : bien qu'il ait troqué ses vêtements chauds de montagnes contre un kimono bleu électrique et qu'une paire de cornes sortent maintenant d'entre ses mèches blondes, c'est indéniablement Denki !

L'autre porte le même kimono, mais en rouge brique. Plus grand que son voisin, il est musclé et ses cheveux d'un roux flammes sont dressés sur sa tête, camouflant presque les cornes qui pointent au sommet de son front...

Une migraine commence à me vriller l'arrière du crâne.

Ils exhalent une aura étrange, qui me picote douloureusement la peau...

Si je ne l'explique pas, j'ai la nette impression d'être en présence de deux catastrophes naturelles personnifiées.

Le plus grand se tourne vers l'empilement d'offrandes, qu'il considère d'un œil critique.

Autour de moi, tous semblent retenir leur respiration.

Moi, de mon côté, je me masse le front. Mince... J'ai des flashs... de la tristesse, de la solitude, de la douleur, de la fatigue, de l'espoir... une brutale sensation de vide à la place du cœur.

Cette dernière sensation me fauche les jambes ! Sans toutes les personnes serrées tout autour de moi, je serai probablement tombé à genoux.

Qui ? Qui sont ces deux Onis pour me mettre dans un état pareil ?

La vérité me frappe comme une gifle : ils doivent sans doute être des proches du Roi de la Colère ! Des élus de sa malédiction ! Tsuyu m'a expliqué qu'il y avait une hiérarchie dans les sujets, en fonction de la puissance qu'ils avaient reçue ! Ceux-là doivent être au sommet !

Voilà, cela doit être ça... Et leur présence combinée est telle, qu'elle me touche à distance !

Je redresse la tête vers l'estrade, alors que j'entends des pas résonner sur le bois, tandis que l'un des Onis se rapproche du bord, et par la même occasion de la foule.

C'est le plus grand, mais mon regard croise celui du blond, derrière... qui blêmit aussitôt.

Ses yeux orangés s'arrondissent sous le coup d'une visible panique.

Ses lèvres s'entrouvrent alors pour prononcer sans bruit :

« Part. Vite ! »

Un vif empressement se lit sur son visage d'habitude si souriant...

Bien que je ne comprenne pas l'origine de sa peur, je devine d'instinct qu'elle est plus que justifiée.

Je m'efforce d'ordonner à mes jambes de battre en retraite, mais celle-ci flageolent encore et les gens autour de moi sont trop pressé les uns sur les autres pour m'autoriser le moindre mouvement.

L'autre Oni ouvre les bras, alors qu'il déclare d'une voix puissante :

« Je vous pardonne, pour cette année. »

Mon sang se glace dans mes veines.

Je me suis trompé. Il n'est pas un élu du Roi de la Colère... C'EST le Roi de la Colère !

Ses yeux rouge magma ballaient son peuple, un sourire moue aux lèvres... qui se figent soudain : droit sur moi.

Le temps paraît s'arrêter.

Nos regards se croisent une seconde que je ressens comme une minute.

Le visage du Roi exprime d'abord une vive surprise... puis se déforme violemment en un rictus de pure rage.

« Toi... Toi... Toi, je ne te pardonne pas... »

Sa voix n'est qu'un murmure rauque, mais il est pourtant perçu par absolument tout le monde.

La pression de la foule sur moi cesse brusquement, alors que tous s'écartent de moi, celle qui a déclenché, pour une quelconque raison, la colère de leur seigneur.

Ce dernier bondit au bas de l'estrade.

La pierre se fend sous son poids.

À chacun de ses pas, il gonfle.

Sa musculature, pourtant déjà impressionnante, se renforce.

Ses cornes s'allongent.

Ses cheveux deviennent une véritable crinière sauvage.

Et sa bouche entrouverte par un rictus haineux dévoile des dents qui se transforment en crocs.

En même temps, ses yeux s'illuminent comme des flammes.

Le Roi de la Colère, dans toute sa puissance, m'écrase de sa présence !

« Comment... oses... tu ?! Comment oses-tu te présenter devant moi après ce que tu as fait ?! »

Il lève brusquement une main, paume vers l'horizon... et dans un bruit d'enfer, un bloc de pierre fuse du sol pour vernir se loger entre ses doigts.

C'est une longue masse métallique ornée de pointes qu'il tient désormais. Aussi grande, que mortel.

« Je ne te pardonnerais... JAMAIS ! »

Son arme s'abat sur moi, tel la lame de la faucheuse.


*

Assis en tailleur sur un toit, un homme assiste au festival qui se déroule sous ses yeux. Aucune expression ne peut être lue à cause du masque qu'il porte, singeant le visage d'un Oni.

« Combien de temps vas-tu rester ici, espèce d'oiseau de malheur ? »

Il tourne paresseusement la tête vers Eri, qui l'observe.

« Tu es discrète ! Je ne t'avais pas vue. »

« Menteur. »

« C'était si évident ? »

Il s'étire, déployant par la même occasion ses immenses ailes.

Une fois fini, il reporte son attention vers la foule, qui commence à s'attrouper à la suite du coup de gong qui annonce l'imminence du "pardon" du Roi.

« Tu sais, je préfère qu'on me surnomme plutôt l'Oiseau de mauvais augure. »

« C'est la même chose... »

« Non. Le malheur, c'est la tristesse, la malchance, les désastres... Un mauvais augure : c'est l'annonce d'un bouleversement. Le malheur est déjà là, alors que le mauvais augure, lui, peut encore être évité. »

Le Roi de la Colère entre en état de rage à ce moment précis.

Le fracas du bruit moue d'os brisés ne fait même pas ciller l'homme, alors qu'Eri ouvre une bouche horrifiée.

L'ère des maudits - 2 - le Roi de la colèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant