Chapitre 16 : vide, bien trop vide

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À peine le bruit de pas se fait-il entendre, qu'Hannya lève un bras pour imposer le silence aux rebelles.

Tous se figent, dans l'attente.

La cheffe esquisse finalement une succession de gestes rapides et précis à ses hommes, leur indiquant de continuer l'inspection, puis s'esquive discrète comme une ombre par l'escalier qui mène à la salle des gardes.

Tsuyu vole de cellule en cellule, son angoisse croissante de les trouver toujours vide.

Plus que quatre portes... trois... deux... plus qu'une... et...

Vide.

Ochaco n'est nulle part.

« Mission avortée, on se replie ! » Articule l'un des rebelles, avant de se précipiter avec ses compères en direction du trou, duquel pendent toujours les cordes.

Le dernier commence à ramener celles-ci, quand il avise soudain Tsuyu, encore dans le couloir, qui les fixe comme si elle ne les voyait pas...

Il fronce les sourcils et lui fait des signes pressants pour qu'elle les suive, ce qui lui fait reprendre ses esprits.

Elle se rapproche, avant de chuchoter avec une détermination glaciale :

« ...Pas question que je parte sans Ochaco. Filez sans moi. »

Sans plus attendre, elle se précipite à son tour dans l'escalier, aussi discrètement que possible.

L'ultime chose qu'elle entend est le son des cordes ramenées et de la plaque de roche remise en place. Plus aucun retour en arrière n'est désormais envisageable.

Au bout des marches, une bifurcation lui permet d'observer, sans être vu, l'intérieur de la salle des gardes.

Pour tout meuble, il y a, poussé contre un mur en pierres brutes, une haute étagère, et au centre la pièce, une longue table entourée de six chaises.

Mais seulement deux sont occupées. L'une par un gros Oni écroulé sur la surface de bois sale de la table, une chope de bière à la main tandis qu'il émet des ronflements sonores, et l'autre par la petite silhouette d'Hannya, qui me tourne le dos, debout sur une chaise.

Elle se penche en avant, pour venir tapoter doucement le crâne de l'Oni, visiblement pour juger de la profondeur de son sommeil, puis se redresse, satisfaite.

Elle saute alors de son perchoir, afin de retourner en direction de l'escalier menant aux prisons... Mais se fige, quand elle découvre Tsuyu, qui la fixe avec des yeux ronds.

Et pour cause : Hannya ne porte pas son masque. Et son front est orné d'une courte corne.

Eri bat des paupières rapidement, avant de lâcher avec embarras :

« Je crois que des explications s'imposent, n'est-ce pas ? »


*

« Combien d'années se sont écoulées, tu dis ? »

« Katsuki, ne te fais pas plus alcooliser que tu ne l'es. Tu as très bien entendu. »

Les deux Rois s'observent en silence. C'est finalement le Bestial qui reprend la parole :

« ...Quelle importance ? »

« ...Quand nous sommes devenus des Rois, nous avons abandonné notre humanité... Mais ça s'est manifesté de manière différente chez chacun de nous... Moi, j'ai perdu une part de ma capacité à me souvenir. Je me rappelle de tout notre passé bien sûr ! Mais, depuis que je suis devenu le Roi de ces montagnes... Tout a tendance à baigner dans un léger flou. Ma notion du temps qui passe s'est amoindrie. J'oublie certaines choses. Seule la colère reste nette. À vrai dire... jusqu'à présent, je ne m'en suis jamais trop préoccupé. Mais quand je suis tombé sur cette fille... puis que tu m'as dit qu'elle n'était pas celle que je pensais... Toutes mes angoisses que j'avais refoulées vis-à-vis de ma mémoire défaillante... me sont revenues en pleine face, en mille fois plus douloureuses. Merde... Je n'ai absolument aucune idée de combien de temps s'est écoulé, vieux frère... ! »

Sa main fuse vers le bras de son ami, sans se préoccuper de s'il le lui broie ou pas. Les yeux qu'il darde vers le Bestial ont leurs veines éclatées sous une colère rentrée, qui se mêle à une envie dévorante.

« Alors je t'en supplie, réponds à cette putain de question : combien ? »

L'autre Roi hésite un moment, puis lâche, grave :

« Je n'ai pas de chiffre à te donner, j'ai arrêté de compter... mais nous sommes bien à près de quatre longues générations. »

« Qu... quatre générations ? Pratiquement 400 ans ? »

Sous le choc, il lui lâche le bras, pantelant.

« Même un peu plus. »

Le Roi de la Colère se laisse tomber à côté de son ami, pendant qu'il se prend le visage entre ses mains.

Lentement, un ricanement commence à s'élever de ses lèvres, de plus en plus fort, jusqu'à se changer en un macabre et désespéré fou rire qui agite tout son corps.

Katsuki l'observe, une profonde tristesse dans ses yeux carmin.

« On peut dire que ça ne nous rajeunit pas, hein ? »

Les tressautements de rire de son compère se calment petit à petit, jusqu'à s'éteindre enfin, ne lui laissant derrière eux qu'un rictus amer sur les lèvres.

« Je vais te donner la fille. Et après, tu te casseras de chez moi. »

Le Bestial hoche la tête, reconnaissant.

Il se redresse en position assise, avant de demander plus joyeusement :

« Et sinon, comment va Denki ? »

« Bien. Il m'aide à garder le cap. Et pour ma mémoire, justement... »

« Très bien, très bien... »

« Il souffre plus que moi dans cette histoire. »

Les deux Rois se taisent brutalement, avant que Katsuki ne grogne :

« Ah... Donc le dieu de la guerre l'utilise toujours pour t'influencer... Quelle pourriture celui-là. »

L'ère des maudits - 2 - le Roi de la colèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant