Chapitre 9 : furieux

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La pleine lune brille haut dans un ciel dégagé, au-dessus de l'immense canopée de la Forêt.

Pourtant, si les cieux sont paisibles, la terre, elle, l'est bien moins.

Une heure plus tôt, son seigneur a enfin ouvert les yeux.

Après 28 heures d'un sommeil tellement agité que tous ceux qui vivaient sur son royaume avaient eu la boule au ventre tout du long, le Roi Bestial s'est finalement calmé.

Aussi, tous ont, dans un premier temps, poussé un soupir libérateur et soulagé quand le psychisme de leur souverain s'est enfin apaisé !

Mais ceux qui ont alors croisé sa route ont été presque autant perturbés.

Sous une forme fluctuante entre le loup et l'homme, il a commencé à marcher droit devant lui, sans jamais dévier de sa mystérieuse trajectoire.

Et c'était, par conséquent, à la nature elle-même de s'écarter.

D'abord maisons, puis arbres, rochers, animaux, eaux, monticules ou crevasses, tous se sont tour à tour mis en branles sur son chemin afin de ne pas le gêner.

Curieux spectacles que celui d'une bâtisse qui se pli littéralement sur le côté, d'un arbre qui se met sur la pointe des racines, d'un bloc de roche qui se fend tout seul, d'un fleuve qui interrompt temporairement sa course, d'une colline qui se creuse elle-même, de mottes de terre qui s'envolent d'un trou pour le reboucher, ou d'une harde de cerfs qui fait une cour d'honneur, juste le temps du passage du maître des lieux...

Évidente origine de tous ces miracles, le Roi ne semble pourtant pas en être conscient.

Il ne fait qu'avancer.

Tout droit.

Quasi-dieu parmi les hommes.

Le Bestial marche vers un objectif connu de lui seul.

Comme en transe.

Et la Forêt se fend donc pour lui, craignant trop de le voir exploser au moindre obstacle.


*

J'essuie mon front luisant de sueur.

Les Onis m'ont traîné à travers une impressionnante volée de marches et de séries de couloirs tantôt montantes, tantôt descendantes, avant de me jeter dans une cellule de pierre poreuse, meublée que par une unique planche de bois, censée servir de lit, pendue à l'un des murs.

Ma seule source de lumière me provient d'un soupirail en hauteur, par lequel rentre des lueurs chaudes et dansantes, comme des flammes.

Mais, outre la solitude, le plus dur est cette sensation de cuir à petit feu...

Si ces montagnes s'étaient jusqu'alors montrées glaciales, cet endroit est, en comparaison, un véritable four !

J'ai presque immédiatement retiré mon manteau, et mon épaisse laine de voyage, prêtée par Tsuyu, l'a vite rejoint sur le sol. Résultat, je suis maintenant avec ma chemise impudiquement ouverte et mon chapeau dans la main, que je m'efforce d'agiter comme un éventail.

Mais je suis brutalement interrompue par trois coups secs à la porte !

Qui toque, avant d'entrer dans une cellule ??

Pour la seconde fois le même jour, c'est donc avec une vive surprise que je découvre la tignasse blonde de Denki !

L'Oni arque à peine un sourcil à la vue de ma tenue, mais il ne relève pas.

Il n'a pas, mais alors vraiment pas, l'air content...

Il referme le battant derrière lui, puis s'y adosse, ses bras croisés sur sa poitrine.

« Bon... Comment tu t'appelles ? Parce que je sais bien que tu n'es pas elle. »

« Elle ? »

« T'occupe pas. Ton nom ? »

« Ochaco... »

Il se penche vers moi, se qui me donne l'occasion de remarquer que l'une de ses cornes est plus courte que l'autre...

« Et qu'est-ce que tu faisais avec un sujet du Roi-Bestial ? »

« C'est... c'était juste ma compagne de voyage... »

Un coin de sa bouche se soulève, vague souvenir du sourire lumineux qu'il avait affiché lors du festival.

« Mouais. T'es pas douée pour mentir... Mais passons. »

Ses lèvres reprennent un angle dur, alors qu'il ajoute :

« Et maintenant, ce que je veux réellement savoir : qu'est-ce que tu n'as pas compris quand Eri t'a dit de ne PAS t'approcher de l'estrade ?! »

C'est une véritable grimace énervée qui déforme ses traits, à présent.

« Bordel ! Toi et ta copine, j'ai tenté de vous empêcher de monter ! Je savais que j'aurais dû insister ! Mais non ! J'ai cédé ! J'ai laissé tout de même Eri t'avertir... mais non, mademoiselle n'a pas été foutue d'écouter ! »

L'air devient comme électrique alors qu'il vocifère de plus en plus devant mon regard ahuri.

Quoi ? Il m'a perdue...

« Et maintenant, il ne décolère plus ! Le volcan gronde ! On a des coulées de lave ! Et ça va être la galère pour empêcher les nuages de cendres de retomber sur la capitale et les villages ! Tout ça pour quoi ? Parce que TOI tu n'as pas été capable d'écouter un unique conseil ! Merde ! »

« Je... je ne comprends pas, je... »

« Tu ne peux pas comprendre ! Ne cherche pas, c'est un truc beaucoup trop vieux pour toi... »

À ces mots, un déclic se fait dans mon cerveau !

« Attendez... ce "elle", que vous avez mentionnée plus tôt... Vous parliez du premier amour du Bestial ? »

Le blond cesse d'un coup de postillonner ses reproches, les yeux ronds comme des billes, alors que sa bouche reste ouverte en plein élan, sous le choc. Un orage, douché en une seule question...

Il se reprend, finalement, juste assez, pour m'agripper vivement par la chemise et de bégayer d'un ton hébété :

« Que... Mais... Tu... Co... COMMENT ? Comment tu es au courant de ÇA, toi ??! »

Mais, évidemment, je n'ai pas le luxe de lui répondre : quand il m'a saisie, ses doigts ont touché ma peau exposée.

Résultat : j'ai été happé par une vision de la trame.

L'ère des maudits - 2 - le Roi de la colèreWhere stories live. Discover now