Chapitre 10 : la rencontre

21 4 0
                                    

Les marteaux frappent encore et encore contre l'acier.

J'entends chaque coup résonner jusque dans mon crâne, alors que le Denki du passé me dépasse, pour venir s'accouder au chambranle de la grande porte béante du bâtiment qui nous fait face, ses bras croisés sur sa chemise entrouverte.

La chaleur qui se dégage de l'intérieur, de ce qui s'avère être une forge, est étouffante et n'est même pas contrée par le courant d'air qui s'engouffre par l'entrée.

L'air est sec comme en plein été.

Des hommes et des femmes transpirant, s'y activent, travaillant avec une précision rodée par l'expérience, dans une effervescence qu'eux seuls maîtrisent.

Je rejoins le blond, alors que j'avise le demi-sourire collé sur son visage, son front étant dépourvu de cornes... Encore que, ça ne veut certainement rien dire : je sais qu'il peut les cacher.

Son regard semble fixé sur quelque chose ou quelqu'un, mais l'agitation de la forge et le manque de luminosité qui y règne ne me permettent pas d'en être certaine.

« Excusez-nous, est-ce que vous pourriez nous aider ? » fait une voix dans notre dos.

Le blond se retourne, en même temps que moi, pour observer celle qui vient de l'apostropher.

J'avais beau m'y attendre un peu, ayant reconnue sa voix, je ne peux m'empêcher de me crisper de surprise alors que je découvre mon propre visage !

« Oui ? Que puis-je faire pour vous ? »

Demande Denki, sans savoir que son destin s'apprête, assurément, à être irrémédiablement modifié par ce seul échange.

Mon ancêtre lui sourit, l'air soulagé.

« Avec mes amis, nous cherchons le meilleur forgeron d'arme du pays... Et on nous a dirigés vers un certain... euh... Eijouro... »

« Eijiro ? »

« C'est ça ! »

« Le meilleur forgeron... ? » répète le blond, une note faussement songeuse dans la voix, tandis que son demi-sourire s'accentue. « Oui, c'est ce qu'on raconte... »

« On nous a dit que nous pourrions le trouver dans le coin... »

« On vous a bien renseigné. »

Denki pointe son pouce vers l'intérieur de la forge, alors qu'il continue :

« C'est ici même qu'il travaille ! Et, il se trouve que je l'attends justement. »

« Oh ! Dans ce cas, cela vous dérange-t-il si nous l'attendons avec vous ? »

« Pas du tout, vous... »

Ma vision est soudain brutalement interrompue par une succession de flashs agressifs.

J'entrevois un jeune homme sourire et dont la silhouette ne m'est pas étrangère.

Deux énormes épées neuves que des mains saisissent.

Des scènes de bataille.

Du sang.

Trop de sang.

Une coupe.

Du feu.

Des ailes.

Le visage de mon ancêtre, baigné de larmes.

...

Puis une obscurité abyssale qui me fauche la respiration.

Et le bruit tonitruant de la foudre...

Qui me réveil.

Denki me surplombe, alors que je suis écroulée au sol, transpirante dans l'air brulant de ma cellule.

Il ne dit rien. Son visage est légèrement incliné sur le côté, alors que sa bouche est tordue en une moue pensive et que ses yeux sont plissés. Il me considère, l'air grave.

Puis finalement, il prononce d'une voix glaciale :

« La trame. Tu as des visions de la trame, n'est-ce pas ? »

Je hoche doucement la tête.

Inutile de tenter de lui mentir : il en sait trop.

Il lève les yeux au ciel, alors qu'il soupire :

« Putain... ça va être la galère, cette histoire... »

Quand il reporte son attention, il semble las.

« Tout Oni que je suis, je ne suis pas un grand amateur de la violence... Aussi je ne vais pas te demander ce que tu as vu. En revanche... Je suis obligé d'insister concernant ce que tu as dit avant de t'évanouir : comment sais-tu pour elle ? Le premier amour de Katsuki ? »

Il l'appelle par son nom. Donc, comme je l'avais deviné de ma vision, il le connaît bien.

« Est-ce que... Vous savez ce qui s'est passé entre eux ? »

« C'est moi qui pose les questions, gamine. » Rétorque-t-il.

Un silence.

« D'accord... Je suis... Arg, ça serait trop long à raconter ! »

Le blond s'adosse au mur, alors qu'il croise les bras sur son puissant torse.

« J'ai un peu de temps devant moi. Tente quand même. »


*

Quand l'Oni s'extirpe, à pas pressés, des ombres de l'escalier qui mène aux prisons, son cerveau tourne à plein régime.

La descendante de Katsuki... Avec le même don qu'elle... Mue par un candide désir de paix... Une agente d'un possible futur meilleur...

Il est forcé d'admettre que c'est un rêve qui n'est pas dénué d'attraits...

Il grince des dents face à cette pensée.

C'est un avenir impossible.

Un bruit de bottes qui crissent sur les cailloux du chemin le fait sortir de ses réflexions et lever les yeux.

Il esquisse immédiatement une grimace.

« Super... Il ne manquait plus que lui... » Songe-t-il, quand son regard se pose sur l'homme masqué qui s'avance à sa rencontre, les mains dans les poches et les ailes repliées.

« Eh bien ? Qu'a-t-elle raconté de beau ? » demande joyeusement le nouvel arrivant, alors qu'il ignore superbement l'expression peu avenante du blond.

L'ère des maudits - 2 - le Roi de la colèreWhere stories live. Discover now