Chapitre 1

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Taehyung observait la terre s'éloigner de lui sans le moindre intérêt. Il arborait un regard impénétrable mais des yeux encore marqués par ses larmes. La valise avec laquelle il voyageait était remplie de photos et de regrets. Il y voyait des souvenirs oubliés et qu'il tirait désormais derrière lui sans rien ressentir. Il ne pouvait plus ressentir quoi que ce soit, son cœur était vide, désespérément vide car on l'avait dit sale, son cœur. On le lui avait arraché. Ses parents, ses amis, son meilleur ami, même. Ils avaient tous piétiné son être sans aucune pitié.

Il savait au fond de lui que c'était de cette façon qu'ils réagiraient, mais il avait naïvement désiré se tromper. Sa famille aimante, ses proches les plus agréables, tous ils l'avaient abandonné. Comment avait-il pu imaginer leur faire confiance ? C'était la question qu'il se posait tandis qu'il essuyait avec véhémence et rage la larme qui ne demandait qu'à rouler le long de son visage.

De son regard sombre, il fixait le ciel dégagé de ce plaisant mois de mai. Belle saison pour mourir...

À qui manquerait-il ? Qu'avait-il de plus à gâcher dans sa vie ? Il avait cru pouvoir se raccrocher à ceux qu'il aimait quand tout s'était écroulé, mais même eux lui avaient tourné le dos. Taehyung ne voyait plus rien dans ce bas monde, plus rien susceptible de l'inciter à reconsidérer sa décision. Ses études s'étaient achevées sur un échec, il incarnait la honte de la famille, personne ne voulait de lui, personne n'était décidé à lui donner sa chance. Aucun avenir ne se présentait à lui, autant ne pas souffrir plus longtemps.

Il préférait encore crever. Même si ça pouvait sembler effrayant – il était effrayé.

Il se souvenait de celui qu'il chérissait, de son sourire, de sa bonté, de toutes ses qualités – qualités qui avaient finalement fait chavirer son cœur innocent. Puis il se rappela son regard à la fois gêné et écœuré. Il se rappela chacun de ses mots, chacune de ses absences, chacun des messages auquel il n'avait pas dénié répondre. Il l'avait abandonné, rejeté quand Taehyung avait osé croire que leur amitié se montrerait plus forte que le mépris.

Il l'avait abandonné, rejeté quand Taehyung avait osé lui avouer qu'il était profondément amoureux de lui.

~~~

Yoongi poussa un soupir. Les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur, il attendait. Il ne savait pas trop ce qu'il attendait. C'était beaucoup, vingt-quatre heures, dans une journée. Dormir lui permettait de voir le temps passer plus vite. Et s'il allait dormir ? Il avait une musique à terminer. Il n'avait pas envie de terminer sa musique. Il avait envie de dormir. Non, en fait il s'ennuyait. Dormir lui permettait de tromper l'ennui. Parfois, il rêvait. Ça, c'était cool. Ça l'inspirait, avant. Aujourd'hui, il n'était plus très inspiré.

Rien ne l'intéressait, il s'ennuyait. Il s'ennuyait vraiment. C'était vraiment beaucoup, vingt-quatre heures, dans une journée. Yoongi se sentait en dehors de son corps. C'était bizarre, dit comme ça. Comment se sentait-il ? Difficile à dire. Il s'ennuyait. Disons qu'il se sentait ennuyé. Toute la journée, du matin au soir, du soir au matin. Ennuyé.

Et s'il allait dormir ? Pourquoi pas. Mais sa musique ? Elle n'allait pas s'écrire toute seule. Ce serait bien si elle le pouvait. Pouf, une chanson. Pas de métro, pas de boulot, juste le dodo. C'était sympa de dormir. Dormir lui permettait de tromper l'ennui.

Bref, où en était-il, déjà ? Ah oui, sa musique. Non, décidément, rien ne l'intéressait. Il n'allait quand même pas composer une chanson sur l'ennui. Ridicule. Alors il attendait, les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur.

Parfois, il se demandait s'il était en dépression. Il n'était pas triste, lui, simplement las. Rien n'avait de couleur. Rien n'avait de goût. Rien n'avait de sens. La vie n'avait... rien. Il faisait beau aujourd'hui, à Tokyo. Grand soleil. C'était si laid. Lui, il préférait la pluie. C'était beau, la pluie. Le corps humain était essentiellement composé d'eau. L'eau, c'était la vie. Yoongi était de l'eau, donc Yoongi était vivant, et Yoongi aimait la pluie. Il trouvait que ça avait quelque chose de rassurant. Il aimait la nuit, aussi, parce qu'il aimait le calme. Et puis, il aimait dormir. Dormir lui permettait de tromper l'ennui. Il dormait beaucoup.

Souvent, il s'était imaginé fermer les yeux pour ne jamais les rouvrir.

Il avait trouvé ça rassurant, comme la pluie. Mais la pluie, c'était la vie. Le repos éternel, c'était la mort. Incompatibles, non ?

Souvent, il s'était demandé ce qu'il ressentirait à mourir sous la pluie. L'eau, et le sommeil.

Il avait trouvé ça vraiment très rassurant.

~~~

Taehyung était perdu dans l'immense fourmilière qui s'agitait autour de lui. Le temps dans lequel il était piégé lui semblait passer moins vite que celui des insectes ici. L'aéroport... Il n'aimait pas les endroits peuplés, car alors il se sentait vulnérable. Les regards, les jugements, il les craignait comme la peste.

Le garçon leva les yeux au ciel, un ciel dont il savait qu'il le gagnerait tôt ou tard – enfin, tôt, en vérité. Une larme coula, une larme de verre. Elle paraissait lui taillader les joues, il haïssait la sensation qu'elle abandonnait. Il avait pourtant passé un long moment dans l'avion, au-dessus des nuages, mais il ne s'était pas trouvé plus serein. Il avait éprouvé l'impression de dépasser la terre céleste à laquelle il aspirait, et l'appareil lui était apparu comme une cage qui l'empêchait de tendre la main vers le repos éternel.

Fermer les yeux pour oublier la fourmilière, fermer les yeux pour oublier l'abandon, fermer les yeux pour oublier le monde, fermer les yeux pour rencontrer l'éternité. Et l'éternité, si elle n'existait pas, le néant valait malgré tout mieux que ce qu'il vivait. Parce qu'il vivait, pénible châtiment tombé sur lui avant même qu'il n'ouvre les paupières pour la première fois. Vivre, c'était mourir. Il comptait simplement précipiter les choses. Il n'agissait pas mal, c'était lui seul qu'il faisait souffrir. Personne ne le regretterait.

La vie lui semblait une douloureuse humiliation, abjection, abomination. Une condamnation. Elle était une obscure lumière dans un monde illuminé d'un vain espoir. Taehyung se sentait ici-bas pareil à un aveugle égaré. Il zigzaguait le long d'un sentier perdu, et cette lueur tamisée qui guidait ceux qui s'y fiaient, il ne voulait pas même y jeter un regard. C'était à se demander s'il luttait pour vivre ou pour mourir. N'était-il lui-même qu'une ombre ? Ombre parmi les ombres, il y voyait comme en plein jour dans ce qui n'était en vérité que la nuit noire.

Taehyung monta dans un taxi au chauffeur duquel il indiqua sa destination. L'homme le dévisagea un instant à travers son rétroviseur ; il sut qu'il observait un condamné. Il demeura silencieux et conduisit. Et la tombe avançait, et la mort approchait. Le jeune garçon gardait son regard fixé sur l'extérieur, songeant qu'il se trouvait dans un pays où il avait toujours rêvé d'aller. Il avait espéré y venir un jour avec celui qui partagerait sa vie. Il venait seul, tragique destin.

Le voyage fut long... ou bien court, Taehyung était devenu bien incapable d'en évaluer la durée. Lorsqu'il s'abandonnait à ses pensées, des heures pouvaient filer et lui apparaître comme de maigres minutes. Quand il lui fallait faire face à la réalité et vivre avec son monde, en revanche, les minutes représentaient autant d'éternités qu'il devait supporter en attendant que tout cesse. Alors le temps passait, mais son chagrin restait. D'une certaine manière, c'était inéluctable : le lien entre le temps, la vie et la mort s'avérait étroit.

Bientôt, la ville disparut pour laisser place à la nature. Les collines devinrent montagnes, Tokyo était loin derrière. Le taxi se gara alors que le soleil entamait une lente descente à l'horizon. Des nuages s'amoncelaient, l'orage n'allait plus tarder. À quelle heure l'avion avait-il atterri, déjà ? Ils devaient rouler depuis longtemps, non ? Peut-être bien, oui, mais Taehyung s'était noyé dans ses souvenirs. Il ne se rappelait rien de leur trajet sinon qu'ils avaient traversé des paysages bucoliques.

Cette forêt aussi s'avérait bucolique, mais Taehyung savait ce qu'elle dissimulait derrière cette apparence tranquille. Ainsi, lorsqu'il descendit du taxi, il régla la note et l'homme répondit simplement par un « adieu » solennel.

Aokigahara...









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Note : il y aura à la fin de l'histoire une NDA pour expliquer l'écriture, comme je le fais parfois à la fin des chapitres

À la croisée des suicides [Taegi]Where stories live. Discover now