[Texte 11] - L'aiguille tournant

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Je marchais tranquillement, le regard porté sur les premières étoiles, bien au delà des réverbères artificiels. La rue demeurait très bruyante. Trop bruyante pour moi. Pourquoi les gens devaient-ils exagérer le moindre de leur geste? Je retournais cette question dans mon esprit lorsque, soudaine et imprévisible, une silhouette se découpa à côté de moi. Je me mis de côté, ne prêtant pas davantage d'attention à cette humaine qu'aux autres gens qui tournaient autour. Lorsque mon regard croisa le sien accidentellement, je su cependant qu'elle était différente. Je me retrouvais dans ses yeux emplis d'espoir et d'innocence. Ses gestes n'étaient pas brusques. Elle ne courais pas comme les autres, elle ne cherchais pas à occuper chaque seconde de son existence avec des problèmes inexistants. Elle ne se moquait pas de mes différences. Elle semblait fragile et pourtant, son regard flamboyant me fit vaciller. Les voiture devinrent alors lointaine, les cris n'étaient plus que murmures, les gestes violents ralentirent pour devenir insignifiants. Les secondes devinrent des minutes, et le cours du temps tout entier fut chamboulé. Les aiguilles tournant s'affolèrent, tentèrent en vain de forcer leur course, mais le regard énigmatique de cette inconnue défiait les lois, brisait les normes pesantes. Le cadran tressaillit, ce fut une peur panique qui agita l'horloge au loin, la peur de ne pas pouvoir asservir cette fillette. Le clocher tremblait de frustration, les aiguilles de bois sombre semblaient gronder, menaçantes. Elles restaient figées sur le grand "VI" noirâtre, la trotteuse étant dominée par les deux autres. La jeune fille qui me couvait de ses prunelles pâles ne les entendait pas, son attention restait centrée sur moi, comme si elle me connaissait déjà. On sentait à l'expression de ses traits qu'elle était bienveillante, et son cœur était un soleil; elle brillait de mille feu, transperçait les méfaits du temps assassin. Alors que je restais stupéfaite, elle m'adressa un large et généreux sourire. Ce genre de sourire qu'on ne voir que rarement dans sa vie. Les aiguilles de bois enragèrent, impuissante, et les rouages de fer s'oxydaient sous la frustration grandissante. La nuit ne tombait pas; elle continuait d'irradier les alentours sans se presser, prenait le temps comme un ami de longue date et ne le craignait pas. Elle était... Indescriptible.

Les gens sont aveuglés par les heures, sont stressés par les minutes, leurs mouvements sont réglés sur la course de la petite trotteuse. Cette fille a réussi à s'affranchir des chaînes du temps, elle mérite plus que des regards mauvais. Elle devrait recevoir de l'admiration, elle devrait lui voir adressé des sourires tels qu'elle les fait. Elle était courage, elle était tranquillité, elle était différente à sa manière, elle était... Le reflet de mon âme que je n'arrive pas à exprimer. Vivre chaque moment sans se préoccuper de celui qui suivra, faire attention à chaque élément qui m'entoure, exprimer ses émotions... Est ce mal dans cette société grise que seul le temps domine?

"Ne laissons pas le temps nous dominer;
Regardons-le comme un allié."

Les cris du moineauWhere stories live. Discover now