Les cris du moineau

[Texte 19] - Nuances ternies

"Désolée de ne pas avoir tout pour plaire,
Tout le monde ne peut pas être "populaire"."
Déplore une voix dans le silence nocturne.
Plaire, oui, toujours plaire aux autres. Obéir aux normes du groupe pour ne pas s'en faire exclure, se plier en quatre afin d'accomplir les volontés capricieuses de cette société artificielle. Un autre coup de mascaras pour leur ressembler davantage, se faire maigrir pour atteindre la beauté canonique du siècle. Forcer ses manières, s'appliquer à copier les rires stridents de cette nuée de mouettes criardes. Se faire désirer par tous les garçons du lycée, même si l'amour n'y est pas, l'admiration tu obtiendras. Une admiration éphémère, mais aussi des compliments dérisoires sortis de la bouche de ces dames. Être acceptée mais à quel prix? Te forger un masque un peu trop parfait pour être vrai, et tu rejoins la grande comédie de la vie. Elles te sourient mais attende ta première erreur pour te rabaisser. Leurs sourires sont carnassiers. Elles te cajolent, te promettent des tas de choses en l'air, et toi, tu te sens aimée. Sache seulement qu'elles aussi possèdent une façade, et ne font que paraître. Dans ton dos, les insultes fusent, des rumeurs calomnieuses apparaissent sans que tu ne saches comment. Petite bête de foire, tu sembles bien naïve, perdue dans cette illusion brisée. Et tu penses que c'est de ta faute, tu mets plus de maquillage pour te fondre dans la masse, tu adoptes les singeries maniérées de ce beau monde qui broie ta belle individualité. Tu redoubles d'efforts pour te sentir en harmonie avec tes "amies", et c'est à peine si tu leur plait réellement. Le cercle vicieux tourne, te fait tourner la tête. Alors avant d'aller plus loin et d'arriver au suicide de ton caractère, pose toi une minute et demande toi franchement.
"Est ce que je me plais?"
Répète une voix désarmée dans le brouhaha du Monde.
Qu'es-tu devenue? Un pot de peinture? Un fil de fer? Une fillette aux allure de dame vulgaire? Serais-tu devenue tout le monde au point de te confondre dans cette masse uniforme? Ta véritable personnalité passe à la trappe tandis que tu pleures ta bêtise. Mais une fois ce piège mortel actionné, nul retour en arrière n'est possible, ou rares sont ceux qui parviennent à retrouver leur âme enfouie sous une bonne tonne d'artifices. Tes passions abandonnées te font sentir les effluves du regret. Tes goûts sont ceux de tous les autres adolescents.Tes rêves d'enfance brisés de leurs mains frêles qui contrôlent désormais ta vie. Tu es devenue leur marionnette, le jouet de cette cour éclatante de noirceur. Ta réputation aléatoire se joue chaque jour à la roulette. La popularité semble bien attrayante à première vue, brillante comme un diamant, mais on ne se rend compte de la mascarade que lorsqu'il est trop tard. Plus morte que vive, tu deviens esclave de ta propre vie. Les véritables notions et sentiments te glissent entre les doigts, et les mensonges envenimés de la société remplacent ton bon sens. A quoi bon plaire aux autres si tu ne te reconnais plus? Si tu te dégoutes? Essaye d'enlever toute cette couche de peinture qui te défigure et ces dames crieront au massacre. Reprend un poids des plus normaux et tu seras traitée de grosse vache. Retire tes habits de marque et tu seras perçue comme une pauvre fille démodée. Remplace la musique commerciale par celle qui te plait vraiment et tu seras à côté de la plaque. Délaisse leurs manières superficielles et tu deviendras une bien étrange bête. Nos différences font notre richesse mais le Monde nous attire et les efface. Que nous reste-t-il alors? Des yeux pour pleurer notre âme déchue.
"Désolée de ne pas avoir tout pour plaire,
Tout le monde ne veut pas être "populaire"."
Déclare une voix forte.
Renonce à ces brillants attraits, pour cultiver ton être et être enfin celle que tu es réellement. Vis ta vie comme tu l'entends et ne laisse pas les autres te la dicter. Devient actrice et non pas spectatrice.
Faux-semblants, façade, carapace... Tu es très belle telle que tu es, à l'intérieur comme à l'extérieur. Car les gens ne sont pas tous les mêmes au fond, et quelqu'un saura être attiré par ta résistance. D'autres sauront t'aimer à ta juste valeur et n'exigeront pas que tu sois parfaite. Peu à peu ce beau Monde tombera les masques et il n'en restera que des hommes et des femmes de nuances différentes, qui s'assembleront en une ronde colorée, formeront un arc-en-ciel de personnalités.
"Redeviens enfin toi-même."
Soupire-t-elle de soulagement.