[Texte 21, Partie I] - Rêveries éphémères

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L'hiver couvre le paysage de son manteau immaculé, reflétant la pâle lueur d'un astre voilé. Ni lune ni soleil ne paraît dans un ciel azur; seule cette lumière tamisée, ouatée. C'est agréable, d'être éclairée par ces rayons. Ils n'aveuglent pas, ils ne chauffent ni ne glacent; ils illuminent seulement le cœur et l'esprit. Devant moi s'étend, au milieu d'un bosquet joliment poudré, une grande patinoire. Je n'ai pas froid et, pourtant, je souffle doucement sur mes mains nues. Un simple pull de laine, un peu trop grand pour moi, me protège. Me protéger de quoi, au juste? Rien ni personne ne semble me semble hostile. Je devrais me sentir apaisée et, pourtant, un sentiment profond de mélancolie me transperce le cœur. Il alourdit le moindre de mes gestes, brise chacun de mes mots. Autour de moi, des brouhahas s'élèvent vers les cieux, tels d'enivrante mélodies. D'autres adolescent apparaissent et, bientôt, je me retrouve au milieu d'une foule chaleureuse. Je n'aperçois pas tous les visages, mais je sais que je les connais tous, que je les apprécie tous. Une de mes anciennes amies s'approche de moi, un grand sourire aux lèvres, avant d'engager une conversation. Nous nous retrouvons seules, discutant avec l'insouciance d'antan. Je balaye le panorama d'un regard tranquille, mais où transparaît une pointe de doute, d'angoisse. Je me vois répondre aux paroles brouillées de ma meilleure amie. Parfait, cet instant semble parfait. Alors pourquoi ce vide abyssal me démoralise-t-il? Pourquoi mon cœur de serre-t-il? Les larmes me viennent. Quelque chose ne va pas, je ne me sens pas bien malgré la mise en place de ce moment idyllique. Mon amie remarque mon trouble, et me demande alors d'une voix claire, qui résonne dans tout mon être:

"C'est à cause de lui?"

La foudre s'abat sur moi. L'évidence que je nie depuis si longtemps me gratifie d'une claque monumentale. Et puis, avant que je n'ai pu répondre quoi que ce soit, elle m'entraîne gentiment vers la patinoire qui s'était formée dans le creux de la vallée. Je n'ai pas envie de patiner. Je n'ai pas envie de vivre ces moments merveilleux. Envie de rien. Pourtant, je me laisse étrangement faire, et nous nous mettons à glisser avec fluidité, côte à côte. La discussion change, se tourne vers lui, comme nous avions l'habitude de le faire, autrefois. Cependant, je refuse d'admettre que je tiens à lui et à sa présence. Non. J'ai réussi à l'effacer, il n'est plus rien pour moi. Après tout ce qu'il m'a fait, pourquoi cet instant de faiblesse? Et puis je prétexte un mal de cheville pour retourner sur le sol poudré. Mon amie continue de patiner. Le mouvement régulier des gens glissant ensemble me détend, me fait presque oublier. Et pourtant, ce ballet ne m'apaise pas le moins du monde. Il y a toujours une plaie qui me tiraille, un manque, un vide qui m'alourdit. Mais je refuse de m'y livrer, je suis bien trop fière pour cela.

Et puis... Une main se pose doucement sur mon épaule. Je ne sursaute pas, je n'ai pas peur. Je pose mon regard sur l'individu qui s'est glissé près de moi. Mon cœur loupe un battement avant de se remplir d'une joie indicible. Il était là, juste à côté de moi, sans distance pour nous séparer. Le vide de comble, et les larmes finissent par dégouliner le long de mes joues rosées. Il m'avait tellement manqué. Tellement. J'en oublie tous mes durs principes, et l'armure d'acier de mon cœur fond sous ce regard si familier. Il me prend dans ses bras et je ne proteste pas, j'en suis incapable. Et je pleure, je pleure de bonheur sans pouvoir me retenir. Les larmes ne s'arrêtent plus, et je me blottis contre lui. La sérénité que je ressens apaise mon cœur, panse ce terrible manque qui me rongeait, mais que je ne pouvais me résoudre à accepter. La lumière se teinte de couleurs pastels, devient plus éclatante, tandis que les rires des autres deviennent moins bruyants à l'oreille. La neige brille autour de nous, brille tout doucement. Parfait. Cet instant est absolument parfait, désormais.

Mes sanglots se perdent au creux de ses bras, et je me recule en titubant. Il me sourit toujours calmement, ne se moque pas de moi. Le premier qui avait fait cesser les rumeurs sur mon compte. Mon premier ami. Nous nous asseyons, et il ne fait aucun commentaire désobligeant. Nous parlons, nous sourions, nous rions. La paix, un bien être fou me submergent et fleurissent dans mon cœur. Puis mon amie revient, et nous discutons tous comme avant. Comme avant.

La nostalgie s'empare de moi soudainement, et les couleurs se ternissent. Les contours s'effacent en un flou barbouillé. Les joyeux éclats de rire s'estompent. L'image ornée de couleurs vives se transforme en une capture vieillie, en noir et blanc. Seuls demeurent nos trois sourires, figés dans le temps. Tels d'anciens souvenirs, ou peut être n'était-ce qu'un rêve? La poudreuse immaculée balaye tout, emportant avec elle nos trois représentations. Le tout de mélange en une valse apaisante, avant de ne plus rien distinguer. Le noir complet m'engloutit, me faisant sentir le goût âcre des regrets.

[To be continued...]

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"La terre entière peut m'affectionner,
Je m'en moque si tu n'es pas à mes côtés."

Les cris du moineauWhere stories live. Discover now