[Texte 17] - Un conte anodin

9 2 0
                                    

Mon esprit était glacé par tous mes malheurs, et je ne ressentais plus le froid mordant de l'hiver. J'errais sans but dans les rues désertes d'une ville habituellement animée, presque vivante. Les décorations lumineuses m'éclairaient de leurs couleurs blafardes, accompagnées par celle, plus vive, d'un lampadaire solitaire. Le verglas sous mes pieds menaçait de me faire tomber à tout moment, mais je bravais ce danger infime. De joyeux chants s'élevaient des maisons à mesure que je progressais vers le cœur de la cité, toujours plus forts, débordants de bonheur:

" Vive le vent, vive le vent, vive le vent d'hiver,
Qui s'en va, sifflant, soufflant, dans les grands sapins verts,
Oh...! "

Je me forçais à les ignorer, continuant docilement ma route. Aucun de ces foyers n'avait de place pour moi, une pauvre adolescente inconnue de tous et transie par les ténèbres qui l'étreignaient sans cesse. J'étais devenue une solitaire, une incomprise, rejetée par la face même de ce monde cruel. Mes pieds nus s'engourdissaient au fil de mes pas tranquilles, et mes bras demeuraient immobiles le long de mon corps frêle. Je ramenai les pans de mon seul habit de toiles contre mon cœur, espérant retrouver un peu de chaleur. La lune m'enveloppait tendrement de son généreux halo, et je lui adressai un pauvre sourire sans pour autant m'arrêter. Je balayais chaque parcelle de cette ville de mon regard azur, osant observer les alentours entre ma masse de cheveux noirs de jais. Je tremblais misérablement, et je sentais bien que mon corps m'abandonnait peu à peu. L'hiver était terrible pour les gens tels que moi, qui n'ont plus rien ni personne. Mon cœur se serra de nouveau à cette horrible pensée. J'étais seule depuis maintenant deux ans et, pourtant, je ne le réalisais qu'en cette nuit glacée de Noël. Mon regard voilé se posa sur l'horloge de la cathédrale, tandis que les douze coups de minuit sonnèrent, résonnèrent dans toute la ville, dans tout mon petit être. Les enfants déballeraient leurs cadeaux avec des étincelles dans les yeux, les parents riraient entre eux, les animaux se chamailleraient gaiement autour d'un chaleureux feu de cheminée après un bon repas. C'était un classique. Cependant, je n'étais pas inclue dans ces généralités. Était-ce une punition? Qu'avais-je fais de mal, pour mériter toute cette souffrance, qui retombait d'un coup sur moi, en ce jour? Je continuais mon chemin silencieux, jetant quelquefois un regard perdu, embué de larmes vers les étoiles qui scintillaient dans un firmament noir d'encre. Délaissée par le destin lui-même, je savais que ma route prendrait bientôt fin. Il fallait que la réalité brise mes rêves; je n'aurais jamais tout ce que ces êtres humains "normaux" possédaient. J'avais cru pendant un temps aux miracles de Noël. J'avais eu tort. Aucun bon génie ne viendra me sauver, je serai dévorée par mon terrible passé. Il me rattraperait, et m'engloutirait dans le néant. J'avais espéré trop longtemps, j'avais survécu avec trop de zèle, j'avais prié avec trop de foi. J'étais à bout de forces, c'en était fini de ces songes immaculé, je ne pouvais me résigner à les contempler encore et encore en m'y perdant. Cela faisait deux ans que j'étais ici, murée dans un silence éternel, je refusais de passer le reste de ma vie ainsi. Si mes rêves étaient impossible dans ce monde de fous, vivre ne servait à rien. J'étais presque arrivée au cœur de cette cité merveilleuse qui me couvait depuis ma naissance, qui avait vu ma défunte mère me donner la vie. Je déployai sous mes prunelles sombres mes mains toutes gercées, toutes tremblantes, si faibles... Je me sentais si faible et impuissante... Plus rien ne me raccrochait à cette vie éphémère...
Je trébuchai violemment à cause d'un éclat de glace, et fut projetée sur la place illuminée, transformée en patinoire. Les projecteurs de cette scène étaient tournés vers moi. Mais au fond, qu'y avait-il à voir? Une gamine de seize ans à peine périssant de l'abandon de ses rêves? Des milliers d'histoires semblables à la mienne se répétaient chaque jour, chaque heure qui passait. Et nous n'étions pas dans les normes. C'était risible. J'avais souffert de ma malchance et de mes différences. Je jetai un regard vers ma jambe droite, tordue, difforme. Le souvenir frappant de l'accident me revint, le commencement de cet enfer. Alors que je m'étais promis de ne plus jamais y penser, de ne plus jamais pleurer à cause de ça, deux joyaux tombèrent sur le sol glacée. Mes larmes amères coulaient doucement, tandis que mes forces me quittaient lentement.
Alors que j'allais sombrer à jamais dans le vide suprême, un souvenir me revint, tel un flash-back, terriblement poignant.
Je me revoyais, arpentant les rues joliment décorées de cette même ville, la veille de Noël. Un immense sourire étendu sur mes lèvres rosées. Je me souvins de deux chaleureuses mains qui me tenaient fermement, deux présences rassurantes que je n'avais jamais oublié, même après leur mort.

" Papa, maman... " susurrai-je dans un souffle, les yeux perdus dans le vague.

Nous chantions ces mêmes chants de Noël ensemble, nous partagions tant de joies... Je les avais longtemps haï pour m'avoir laissée dans ce bas monde, sali des actes humains. Ils m'avaient tellement manqué... Pourtant, en cette sainte nuit, je les pardonnais entièrement.

"Je m'en vais vous rejoindre loin de cette existence misérable..."

Mon corps trembla doucement dans un dernier râle d'agonie. Mon corps engourdi n'était plus qu'une coquille vide, je sentais déjà mon esprit partir loin, oui, s'enfuir et repousser les frontières de l'univers... Je soufflai une dernière fois, adressant un faible sourire au firmament étoilé, avant de fermer mes prunelles sans autre regret que celui de n'avoir pas pu réaliser mes rêves en cette vie. Les premiers flocons de l'année tombèrent tout en douceur sur cette cité si chère à mon cœur, en emportant avec eux mes espoirs brisés et mes souvenirs insignifiants. La neige recouvrit mon cadavre sans vie d'une fine pellicule blanche, telle une couverture. Sur ma joue froide s'écoulait encore une larme glacée, tandis que les joyeux chants de Noël résonnait sans les ruelles illuminées.
~~~
" Un conte anodin cache parfois bien plus d'émotions qu'un pavé savamment orchestrée. "

Les cris du moineauWhere stories live. Discover now