15/ La perspicacité d'une nonna

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Contrairement à ce qu'elle a dit, Céleste ne rentre pas directement. Bien qu'elle ait faim et qu'elle songe au repas délicieux - la cuisine embaumait un plat longuement cuit au four - qu'elle a raté à cause de Galeazzo, elle préfère marcher jusqu'au Duomo. Elle aime bien entrer dans la cathédrale juste pour flâner.

Bien qu'elle n'ait aucune appétence particulière pour la religion, les édifices religieux lui plaisent beaucoup. Elle y trouve une paix relative que les quelques touristes ne perturbent aucunement. Personne ne peut être indifférent face à l'indéfectible foi qui a édifié ces monuments colossaux d'une beauté époustouflante. Même si l'on ne croit pas en Dieu, on sent le souffle fantastique qui porte le bâtiment.

Elle réfléchit à quelques informations que Battista a laissé filer quand il racontait l'histoire de sa famille. Le père qui vit à Florence et réunit ses enfants tous les week-ends dans une maison située entre leurs deux villes. La partie de l'entreprise laissée à la direction de l'aîné, qui s'occupe aussi de gérer le dernier enfant, bientôt adulte, après que Battista ait eu un problème durant sa scolarité exclusivement florentine jusqu'au lycée. Céleste en ignore la raison, mais elle a compris dans les silences et les absences, que la mère ne fait plus partie du cadre. Peu de détails, mais suffisamment pour commencer à comprendre cette étrange famille.

Dans cette constellation composée d'éléments disparates et indépendants, Céleste voit le lien. Gianna Malatesta, grand-mère paternelle, est un pivot essentiel au bon fonctionnement de ce système. Elle est l'autorité primordiale. Plus importante même que celle du père. Elle est l'énergie qui maintient le tout de manière cohérente. Elle est le cœur de cette famille étrange qui semble s'attacher à Céleste sans qu'elle comprenne bien pourquoi.

Quoi qu'il en soit, Céleste a maintenant quelques réponses possibles à la question qu'a posé Gianna le matin même. Galeazzo Malatesta a-t-il eu le choix d'être différent ? En temps qu'aîné, il a eu à endosser un certain nombre de responsabilités. Cela peut-il excuser ou expliquer son comportement envers elle ? Non. Très certainement non. Mais ça met en lumière certaines de ses réactions, sans aucun doute.


Gianna entend la porte de la chambre du fond se refermer doucement. La française est rentrée. La nonna attrape la cafetière et la met à chauffer. Vu l'heure, elle est prête à parier que la gamine n'a rien mangé. La vieille italienne a l'œil. Elle a compris que Céleste ne mange pas à tous les repas. D'où son appétit d'ogre lorsqu'on lui propose de la nourriture. Trop vorace pour être juste une manifestation d'une faim naturelle. Ses petits-enfants n'ont pas encore compris. Gianna si. Céleste vit avec peu. Elle fait illusion quand Pia la sort, mais elle compense tout ce qu'elle dépense lors de ces soirées par des repas en moins les jours suivants.

– Céleste ?

– Si, nonna. Vous avez besoin d'aide ? demande la jeune femme en ouvrant sa porte en souriant.

– Tu rentres bien tôt...

– La bibliothèque était bondée et je n'arrivais à rien aux archives... Tiens, j'ai vu Battista ! Et sa maison ! Quelle merveille !

– Ah ! Ça ! Un enfer à entretenir, crois-moi ! Ici, on est mieux !

– Oui, mais vous n'avez pas de cachots !! réplique Céleste.

– Qu'en sais-tu ? Allez ! Dai, j'ai un reste que je ne veux pas garder ! Viens me débarrasser.

La jeune femme n'est pas dupe. Elle sait que la nonna a deviné son secret vis à vis de l'argent. Elle n'en aime que plus Gianna qui invente à chaque fois une nouvelle excuse pour la nourrir en douce et avec tact.

– C'est délicieux, Gianna ! Est-ce que c'est des épinards ?

– Si, piccolina.

– Je ne pense pas que ce que Marinella avait préparé aurait été aussi bon.

– Marinella ?

– Battista m'avait invité à manger avec lui.

– Pourquoi n'as-tu pas accepté ?

– Oh, mais j'ai accepté ! Mais quand... enfin, quand nous avons fini de visiter la maison, Galeazzo était là...

– Ah ! Et tu es partie.

– J'ai compris que j'étais de trop ! C'était tellement évident, Gianna ! Il ne m'aime pas. J'ignore pourquoi, mais c'est sûr ! Et ça n'a rien à voir avec son rôle d'aîné. Je pense que c'est un aversion physique. Vous savez comme quand on a envie de gifler un inconnu juste parce que sa tête ne nous revient pas... C'est pareil entre lui et moi ! Bah ! C'est pas grave ! J'ai plein d'autres Malatesta pour compenser, dit-elle en souriant largement.

La vieille dame coule un drôle de regard à la jeune femme. Elle a senti quelque chose dans le ton de sa voix qui la fait sourire. Une pointe de regret. La petite française déplore secrètement qu'Azzo ne l'aime pas. Même si elle ne l'aurait reconnu pour rien au monde. Intéressant.

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant