18/ Fracture sociale

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Céleste a recommencé. Elle a été désagréable. Encore. Mais c'est de sa faute, aussi!

Galeazzo Malatesta lui a rendu service, oui, mais à contrecœur est-ce que ça compte vraiment ? Quoiqu'il en soit, ça ne lui donne pas le droit d'être aussi antipathique et vexant. La jeune femme croise ses bras sur sa poitrine et se replonge dans sa contemplation du paysage. Ce dîner risque d'être très long. Heureusement, il y aura Giù, Battista, Olimpia et Petrus. Elle trouvera un moyen de ne pas lui parler. Ou juste les politesses de rigueur.

– Je suis désolé si j'ai paru méprisant, dit-il en fixant la route. Ça n'était pas mon intention.

Pas son intention ? Elle en doute fortement. Il est suffisamment poli cependant pour s'excuser. Ainsi, rien n'est vraiment de sa faute. Bravo ! C'est elle la méchante ! Il tend un rameau d'olivier ? Très bien. Même si c'est fait de manière peu convaincante, elle ne peut le laisser sans réponse. Elle aussi est polie, et au moins aussi bien élevée que lui ! Elle soupire.

– Peu importe votre intention et vos excuses. C'est fait. Pour votre information, si cela vous intéresse réellement, je ne sais pas ce que je vais faire avec ce cursus. Et je n'ai pas envie d'y penser. La seule chose qui m'intéresse, c'est étudier de vieux documents et en extraire des informations qui alimente les connaissances que l'on a déjà. Ça vous va ? Et ne vous forcez pas à discuter avec moi ! Nous ne sommes pas amis. Je l'ai bien compris. Et cela ne me gêne pas. Je suis assez grande pour mesurer le fossé social qui nous sépare. Je rends service à Olimpia ce week-end. Ensuite, nous serons quittes. Alors inutile de faire autant d'efforts durant ce simple trajet.

Galeazzo se crispe un peu plus sur son volant. Il met une seconde avant de répondre.

– Vous avez parfaitement raison. Je me demande ce qui m'a pris. Autant pour moi.

Il tend la main vers l'autoradio et met de la musique sans rien ajouter. Il a l'air contrarié. Encore. Et elle ignore encore pourquoi. Après tout, elle vient d'éclaircir leurs relations. Elle le dédouane de toute obligation sociale envers elle. Il aurait pu au moins paraître soulagé.

Un air de piano s'installe dans l'habitacle, et elle se laisse porter sans plus réfléchir à cet homme qu'elle ne comprend définitivement pas.


La maison est fabuleuse. La maison ! Non ! Elle doit dire le palazzo, car s'en est un ! Comme dans ces magazines ultra chics sur papier glacé. Le jardin est plongé dans l'obscurité, mais on le devine majestueux et foisonnant. Elle est stupéfaite. À côté, la belle demeure de Sienne fait pale figure, c'est dire !

– Fermez la bouche, vous pourriez avaler une mouche, dit Galeazzo négligemment en sortant de la voiture.

Elle le fusille du regard et sort à son tour. Est-ce qu'il se moque d'elle en plus ? Elle le voit avancer vers la porte qui s'est ouverte sur plusieurs silhouettes. Ça s'apostrophe. Ça s'enlace. Ça rigole. Ça s'embrasse. Ça s'embrasse ?

Une fille sculpturale à la chevelure dorée – rien à voir avec la couleur de ses propres cheveux à peine colorés - embrasse goulûment Galeazzo. En fait, à bien y regarder, cette inconnue est une version améliorée d'elle-même. Nettement améliorée : Plus de hauteur. Plus de formes. Plus de blondeur. Plus de bleu dans les yeux. Plus d'éclat. Pas de doute là-dessus.

Céleste avance timidement jusqu'à ce qu'Olimpia se détache du lot et vienne à sa rencontre en criant son plaisir de la voir. Elle exagère ! Elles se sont déjà vues dans la journée ! Mais avec Olimpia rien n'est jamais mesuré en règle générale. Et contrairement à son habitude, après le trajet éprouvant en voiture, Céleste apprécie cette marque de sympathie, même si tout est de la faute d'Olimpia. Pourquoi lui a-t-elle imposé la présence de son frère aîné ? Mystère.

Petrus est debout derrière sa petite amie et il sourit. Soit il ne sait pas encore dans quel pétrin il est. Soit il sait, mais ne s'en soucie pas. Quelle chance, si c'est le cas ! Parce qu'elle, elle appréhende de se retrouver parmi tous les Malatesta. Elle a beau avoir 22 ans, être indépendante depuis un moment et avoir la tête sur les épaules, elle se sent comme une toute petite fille. La sombre présence de Galeazzo et celle, stupéfiante, de sa fiancée, n'arrangent rien. Ce qu'elle ignore, c'est que Petrus est issu d'une famille semblable à celle des Malatesta. Peut-être même plus riche. Il ne se sent absolument pas hors cadre comme Céleste. D'où son aisance. Heureusement, la française n'en sait rien. Sinon, elle se sentirait encore plus isolée.

Puis Giuseppe sort à son tour en mâchant un truc. Lui aussi mange comme quatre. Il enveloppe la taille de Céleste en souriant et l'entraîne à l'intérieur avec un air de propriétaire. Alors comme ça, monsieur marque son territoire !!! Et ça semble l'amuser, en plus ! De mieux en mieux !

Céleste voit fugitivement le regard contrarié de Galeazzo posé sur elle, avant qu'ils ne rentrent tous dans la maison. Évidemment, ça ne lui plaît pas ! Elle n'est pas assez bien pour sa famille, elle l'a déjà compris. Mais vu la réputation de Giuseppe et l'incident du karaoké, il ne peut pas croire que l'attitude de son frère ait quoi que ce soit de sérieux ? Si ? Alors, c'est un imbécile en plus d'être un arrogant. Rien pour lui.

Céleste a bien envie de jouer le jeu de Giuseppe, mais sans le prévenir, cela risque d'avoir des conséquences qu'elle n'est pas prête à assumer. Elle sait qu'elle est sur le fil avec Giù. Ils sont dans un entre-deux. Il ne faudrait pas grand-chose pour faire basculer leur relation vers quelque chose de plus sérieux. Ce qu'elle ne veut pas. Surtout pas. Elle ne l'aime pas. Elle veut conserver leur relation telle qu'elle est.

Pas question de tout risquer juste pour ennuyer ce cretino de Galeazzo Malatesta ! Elle s'agace surtout, parce qu'elle a fait un effort vestimentaire en mettant la seule robe pas trop voyante à sa disposition. Une robe qu'elle a fait elle-même durant l'été avec un crêpe noir, parsemé de minuscule étoiles argentées. Pour une fois, elle n'est pas amusante. Elle est même jolie à sa manière. Du moins, le pense-t-elle. Elle décide de ne pas se gâcher la soirée à cause de l'aîné de la famille. Galeazzo Malatesta ne mérite certainement pas tant d'honneur. Les autres enfants sont bien plus sympathiques et ne la prennent pas de haut, Eux ! Heureusement.

Les présentations sont rapides. Les seules personnes qu'elle n'a jamais rencontrées, sont Alessandro Malatesta, le père, Francesca, la fiancée, et nonna Maria qui se révèle être une grande dame sèche mais souriante. À l'opposé de nonna Gianna qui est toute petite et l'accueille en la prenant dans ses bras, comme si elle faisait partie de la famille et qu'elle revenait d'un long voyage, ou d'une longue et grave maladie. Au moins, Céleste sait de qui Olimpia tient sa tendance à l'exagération.

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant