36/ Se battre et se faire une place

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Le lendemain matin, après le départ des derniers invités, Olimpia entre dans le salon pour déjeuner. Elle s'assoit comme à son habitude entre nonna Gianna et Battisa, face à Giù qui se trouve entre Azzo et nonna Maria. Alessandro préside à un bout de la table. Au lieu de reprendre sa place près d'Azzo, Francesca s'est mise à l'autre bout sans demander la permission, ce qui a contrarié tout le monde. C'est la place de Fausta. Pour toujours. Personne ne s'assoit là, même quand on manque d'espace.

Voyant que personne ne dit rien à la hyène, Olimpia va faire une remarque quand elle aperçoit le petit icône clignotant de son téléphone. Un message. Depuis quand est-il là ? Elle a eu trop à faire ce matin. Comme elle s'inquiète pour Céleste, elle regarde immédiatement, et voit la photo.

Surprise, elle ne peut s'empêcher de commenter par un « c'est qui ceux-là ? »

– De qui parles-tu, Pia ?

– Rien. De personne, papà...

Battista, qui n'en loupe jamais une quand il le peut, et surtout qui veut voir la réaction d'Azzo, sourit et dit tranquillement.

– Céleste Melville s'est fait de nouveaux amis.

Un silence suit sa déclaration. Gianna observe franchement Azzo. Ses frères et sœur se contentent de le regarder à la dérobée. Francesca s'obstine à fixer son assiette, mais on voit qu'elle est furieuse. Égal à lui-même, Alessandro, qui n'a toujours pas compris, hausse les épaules. La française n'est qu'un épisode déjà oublié de ce début de vacances de noël.


Nonna Maria mange comme si de rien n'était. Elle songe juste que la soirée d'hier a été particulièrement réussie, et que cette Fransceca est vraiment vulgaire et mal élevée. Prendre la place de sa bien-aimée et regrettée fille à la table familiale, est une faute impardonnable.


Azzo s'est brièvement arrêté de manger avant de reprendre. Il commence juste à identifier le problème dont Céleste Melville fait incontestablement partie, mais ne voit pas encore de solution. Et pas question que sa famille s'en mêle. Quand bien même, ses membres n'aiment rien tant que s'occuper des affaires des autres.


Céleste ouvre sa fenêtre avec plaisir. La neige a continué à tomber tout au long de la nuit, laissant une couche épaisse au sol. Le froid est polaire, mais le soleil se lève déjà faisant fumer la ville gelée. C'est très beau. Elle sourit et referme. Gianna doit revenir ce matin, elle ne veut pas être accusée de frigorifier l'appartement.

Après avoir rapatrié ses affaires dans sa chambre et rangé le salon, elle décide qu'elle va s'excuser auprès de sa mère. Elle ne sera pas celle qui gâche tout. Ce rôle revient de plein droit à sa génitrice. Elle compose donc un message froid et clinique pour répondre au mélodrame que lui a envoyé sa mère après qu'elle ait raccroché la veille.

Sandra Dupré, ex épouse Melville, n'a jamais pardonné à sa fille d'être si combative, de refuser de se conformer au destin que lui réserve sa classe sociale. Céleste déborde des cases, et Sandra ne sait pas où la mettre. Dans un langage fleuri, elle aurait simplement dit que sa fille « pétait plus haut que son cul. ». Céleste lui laisse son destin pourri, et sa classe sociale de merde. Elle veut plus.

C'est bien ça le problème, en fait. Céleste est dans un entre deux. Entre deux mondes. Entre deux familles. Entre deux pays. Elle se forge sa propre place à coups de coude et dent depuis ses 15 ans. Alors, elle n'est pas prête à rendre les armes. Pas encore. Et tant pis pour les moulins à vent !

Elle voit alors le message de Stefano. Il n'a pas perdu de temps ! Ils se sont promis de se revoir durant les vacances, parce que selon lui : « une française aussi mal habillée en Italie ça n'est pas supportable ! ». Elle a beau lui avoir dit que son budget ne lui permettrait sans doute pas de satisfaire son degré très élevé d'exigence. Il avait ri en parlant de boutiques parfaites pour elle. Céleste craignait le pire, mais ne se défilerait pas. Car même si elle n'achetait rien, elle savait qu'elle passerait un bon moment.

La veille, Stefano s'est révélé une véritable bouffée d'oxygène pour elle. Peut-être parce que lui aussi doit se battre pour se faire une place ? Peut-être parce qu'il se fiche pas mal de savoir si la voie qu'elle a choisi la mènera quelque part ? Tous les chemins mènent à Rome selon lui, qui rêve de rejoindre la capitale où son « anomalie » sexuelle, comme disent ses parents, passera inaperçue. Là encore, il a peut-être raison.

Une capitale est peut-être la solution à tous les problèmes. Une cité bondée où se perdre dans la foule. Devenir un parmi la multitude et s'effacer pour mieux se trouver. C'est peut-être bien ce qu'elle est venue chercher ici. Mais ça n'est pas encore assez. Partir pour Paris à son retour en France commence à devenir un projet envisageable. S'y perdre. S'y faire une place. Peut-être y arrivera-t-elle ?

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant