29/ Se résoudre à rester

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Le récit de Céleste a touché Olimpia. Elle n'est ni aveugle, ni sourde aux misères du monde, mais on lui a soigneusement pavé le chemin pour qu'elle ne les approche pas de trop près. Parmi ses amis, il y en a sans doute de moins fortunés qu'elle, mais le sujet n'est jamais abordé. Comme la française, ils ont sans doute souffert de cette différence de traitement, mais contrairement à elle, cela n'a pas développé chez eux une lucidité accrue de l'injustice sociale qui régit le monde. Une injustice quasi impossible à vaincre et contre laquelle il est si difficile de lutter.

Pia comprend mieux la réaction de Céleste. L'italienne s'en veut de ne pas l'avoir comprise avant. Mais si elle est effectivement privilégiée socialement, elle ne l'est aucunement humainement. Comme l'a soulignée Céleste, perdre sa mère ne prédispose pas à un équilibre nécessaire au bonheur ou simplement à la sérénité.

Pia pense aussi à Azzo. S'il est réellement amoureux de Céleste, il va avoir du pain sur la planche. Parce que sa petite communiste ne se laissera pas amadouer comme les bambole qu'il a l'habitude de draguer à la chaîne. Il n'imagine sans doute pas la montagne qu'il va devoir gravir. Ou si. Et il ne sait justement pas comment l'aborder. Par quelle face parvenir au sommet, au ciel... Céleste, comme un sommet impossible à vaincre... Il va avoir besoin d'aide. C'est sûr ! Elle sourit.

– Comment aurais-je pu savoir que j'étais amie avec une future activiste ! Dai ! Pour ma défense, comment savoir que cette madone multicolore cachait une révolutionnaire ! Quoique... Non ! Tu ne renvoies pas cette image ! Tu parais si carina comme ça... dit Pia en riant.

– Mignonne ! Tu vas voir si je suis mignonne !

Céleste lui envoie un coussin en plein visage en riant aussi. Raconter un morceau de sa vie lui a fait du bien. Pia sait écouter. Bon, côté réaction, elle est toujours dans la démesure, mais elle sait écouter... ce qui, pour une future psy, peut aider. D'ailleurs...

– Tu n'essayerais pas de t'entraîner sur moi ??? Genre psy d'occas !

– Tu m'as découvert ! Ahhh ! Mais non, patatina ! Je veux comprendre, parce que je ne veux pas que tu partes. Je veux que tu restes avec nous. Tu vas rester ?

– Je... Je ne sais pas, Pia. Ça n'est peut-être pas une bonne idée... ton père...

– Bien sûr qu'elle reste ! s'exclame alors une voix rugueuse.

Gianna est à la porte. Elle tient un petit plateau avec des tasses de café fumantes et une assiette de biscotti. Depuis quand est-elle là ? Qu'a-elle entendu ?

– Pas question que tu partes ! De toute façon, je suis ta logeuse, et si tu partais comme ça, sans préavis, tu me devrais au moins six mois de loyer ! C'est dans le contrat !

Céleste se souvient parfaitement avoir signé un document sur lequel il n'y a pas la moindre indication de ce genre. Elle sourit. Ces Malatesta ! Aussi têtus que malins...

Giuseppe arrive sur ses entrefaites, vole un biscuit au passage et vient s'affaler sur le lit près des filles.

– Alors c'est réglé ? Elle reste, la francese ?

Pia et Gianna fixent Céleste. La jeune femme sourit.

– Je reste. Je n'ai pas les moyens de payer de toute façon...

Gianna pose son plateau sur le bureau avant de sortir sans un mot, mais avec un petit sourire sur les lèvres.

– Fantastico ! Bon pour ce soir ? On fait quoi ?

Giuseppe a le don d'aller droit au but. L'opposé de sa sœur.

– Ce soir, vous allez aller au palazzo et moi, je vais rester ici... Avec quelques dolce de nonna Gianna. J'appellerai mes frères. Ils seront contents. C'est le premier noël où je ne suis pas avec eux.

– Tu pourrais venir...

– Non, Pia. Je ne vais pas affronter une seconde fois ton père et ton frère. Même si j'ai pris conscience de ce qui me mettait en colère, je n'en aurai pas la force. Un peu de silence et de tranquillité ne me feront pas de mal...

– Silence et tranquillité, les deux mamelles d'une mort lente et ennuyeuse...

Céleste rit de cette réplique de Giù qui vient de se redresser.

– Quand je pense que j'aurai pu enfin te faire réaliser quelle chance tu avais de m'avoir sous le coude ! Si Azzo n'avait pas été là... ajoute-t-il en sortant.

Pia bondit en claquant la porte derrière lui. Mais quel stupido celui-là ! Elle s'est efforcée de ne pas faire d'allusion au comportement étrange d'Azzo envers Céleste, et lui, il met les pieds dans le plat, direct ! Elle va l'étriper.

Céleste fixe la porte.

– Qu'est-ce qu'il a voulu dire ?

– Qu'Azzo, avec sa manie de faire comme papà, avait tout gâché.

Pia sait écouter, mais elle n'est pas particulièrement une bonne menteuse. Céleste sait immédiatement qu'il y a quelque chose d'autre de sous-entendu dans la réflexion de Giuseppe. Quelque chose qui n'a rien à voir avec la rigueur de l'aîné. Elle revoit le regard de Galeazzo posé sur elle quand elle s'est enfuie et lui a dit des choses si dures. Puis ensuite, dans la rue, quand elle lui a fait comprendre qu'elle ne voulait plus jamais le revoir. Ni lui, ni le reste de sa famille.

Ce regard qui semblait refléter une confusion qu'elle n'arrive toujours pas à comprendre. Et dans ses yeux à elle ? Qu'a-t-il vu ? Une colère et une détestation qu'il aurait dû ressentir lui-même ? Autre chose ? Non. Rien d'autre.

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant